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    Derrière l’algorithme de Parcoursup, un choix idéologique

    étudiants ParcourSup Université

    Lien publiée le 1 janvier 1970

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://www.nouvelobs.com/education/20180713.OBS9643/derriere-l-algorithme-de-parcoursup-un-choix-ideologique.html?xtor=RSS-78

    DISSENSUS. Cessons de penser que les algorithmes prennent des décisions ; ils ne font qu’exécuter les choix de ceux qui les ont écrits, rappelle le chercheur Hugues Bersini.

    Parcoursup est-il un modèle de la méritocratie républicaine ou, au contraire, un instrument de discrimination sociale, et l’un des modèles du genre en France ? Hugues Bersini (*) propose à "l’Obs" une lecture de la conception politique et économique utilitariste inscrite au cœur même de la formule algorithmique de Parcoursup. Docteur en génie nucléaire et professeur en programmation et en intelligence artificielle à l’Université libre de Bruxelles, il est l’un des inspirateurs du projet France IA (Intelligence Artificielle) et a été consultant d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat chargée du Numérique et de l’Innovation sous la présidence de François Hollande.

    La répartition des étudiants entre les universités et les filières est un problème complexe puisqu’elle s’effectue sur base d’un conflit massif entre l’offre et la demande : on dénombre plus de 880.000 candidats pour un total (à raison de 10 vœux possibles par candidat) de quelques 7.000.000 de vœux de formation [810.000 ont in fine validé leurs voeux, NDLR]. La résolution d’un tel conflit n’est plus sérieusement envisageable humainement. Dès lors qu’un algorithme travaille à cette mise en relation n’est pas à remettre en question. La vraie question est celle de l’objectif assigné à l’algorithme et des choix qu’il doit exécuter.

    Des cartes récemment publiées montrent un résultat consternant depuis la mise en place de l’algorithme de Parcoursup : la diminution de la mobilité des étudiants issus des périphéries crève les yeux. Des responsables politiques et des citoyens, légitimement heurtés par ce constat, s’en saisissent aujourd’hui pour accuser l’algorithme de Parcoursup d’être un "algorithme discriminant". En cela, ils rejoignent, sans toujours en avoir conscience, ceux qui souhaitent engager en Europe une réflexion pour attribuer une personnalité juridique aux algorithmes.

    Or, une telle portée juridique attribuée aux algorithmes n’aurait qu’un effet confortable : déresponsabiliser ceux qui décident et écrivent les algorithmes. La tentation développée par l’homme à vouloir responsabiliser les algorithmes est une erreur de jugement qui cache, en réalité, le lieu où une action corrective peut se jouer. Cessons de penser que les algorithmes prennent des décisions ; ils ne font qu’exécuter les choix de ceux qui les ont écrits. Et, dans le cas de Parcoursup, ceux qui ont écrit l’algorithme ont transcrit dans sa formule des choix lisibles qui découlent directement d’une décision politique et idéologique inscrite dans la loi ORE (sur l’orientation et la réussite des étudiants) voulue par le président Macron et son gouvernement.

    Quelle est cette décision ? Opter pour une répartition méritocratique que l’algorithme de Parcoursup exécute froidement. L’effet est amplifié par la mise en place d’algorithmes locaux sélectifs dans les universités, dérivés du logiciel d’aide à la décision de Parcoursup ou externes, dont on ne connaît pas tous les critères puisque ceux-là, contrairement à l’algorithme de Parcoursup, ne sont pas publics, mais dont on sait qu’ils jouent souvent en pondérant les dossiers en fonction de la réputation des lycées. Sous la pression protectionniste de certaines facultés, principalement parisiennes, conjuguée à celle des facultés de banlieues craignant un exode des meilleurs étudiants de leur secteur, les rectorats ont, en outre, diminué par endroits le nombre d’étudiants hors secteur acceptés et fixé des pourcentages extrêmement variables, souvent faibles, de places réservées aux boursiers.

    Une approche utilitariste

    Cette décision politique et idéologique se lit dans la formule algorithmique même de Parcoursup. Cet algorithme, dont l’objectif est de mettre en relation deux objets, d’un côté des établissements, de l’autre des étudiants, est en effet inspiré par le célèbre algorithme de Gale et Shapley, repris par Alvin Roth, prix Nobel d’économie en 2012. Il relève au fond d’un vieux problème économique que l’on appelle l’appariement stable.

    Dans sa version originelle, qui date de 1962, l’algorithme de Gale et Shapley vise ainsi à obtenir des mariages stables. Les hommes classent les femmes selon leurs préférences, tandis que les femmes classent de leur côté les hommes. L’objectif de l’algorithme est d’obtenir le meilleur appariement en fonction des préférences subjectives de chacun. Cependant, si tous les hommes préfèrent la même femme et réciproquement, les plus convoités se retrouveront ensemble. C’est exactement ce qui se passe dans sa version économique plus récente : les préférences tendant à devenir des valeurs objectives, l’algorithme vise à effectuer l’appariement entre le plus offrant et l’objet le plus convoité. Il cesse alors d’être égalitariste pour devenir utilitariste.

    C’est ce critère économique utilitariste, opposé au critère égalitariste, que l’on retrouve à la source de Parcoursup. En caricaturant un peu, les universités et les filières sont classées selon le prestige perçu, classement auquel les étudiants sont évidemment sensibles, dans le même temps que les étudiants sont classés selon leur dossier scolaire, la réputation de leur lycée, leur localisation géographique. Parcoursup crée alors automatiquement un appariement entre ce qu’il perçoit être les meilleures universités et les meilleurs étudiants. Il n’est donc nullement exagéré de dire que l’algorithme de Parcoursup fonctionne pour tout donner au plus méritant, ce qui, dans le même temps, renforce les inégalités sociales et scolaires initiales. En ce sens, il reflète bien la France ultra-méritocratique et utilitariste du président Macron.

    L’économiste indien, Amartya Kumar Sen, récipiendaire du prix Nobel en 1998 a parfaitement démontré que, dans une société utilitariste, les riches reçoivent infiniment plus que les pauvres parce qu’ils ont investi. Les riches s’enrichissent donc. Les pauvres aussi s’enrichissent. Cependant, le fait que les riches s’enrichissent infiniment plus que les pauvres n’est pas pris en compte par la fonction utilitariste qui vérifie seulement que personne ne soit totalement défavorisé.

    Que les inégalités s’accroissent toujours plus, importe peu aux utilitaristes. Leur seule concession aux égalitaristes est la fameuse théorie du ruissellement dont on tient justement Macron pour partisan : l’argent va ruisseler, les pauvres seront moins pauvres grâce au ruissellement de l’argent des riches. Reste à compter sur la bonne organisation du ruissellement par l’Etat et la bonne volonté des riches. Thomas Piketty a bien montré que cette théorie ne fonctionne pas dans les faits.

    Dans le cas de Parcoursup, la théorie du ruissellement voudrait que les étudiants méritants, mais surtout issus des milieux favorisés, domiciliés dans les quartiers aisés, ayant déjà bénéficié des lycées réputés, désormais formés par des facultés prestigieuses, deviennent encore meilleurs, puis finissent par favoriser le bien de l’ensemble de la société et par pousser les étudiants défavorisés à s’améliorer. Il faudrait que les champions universitaires, professeurs comme étudiants, consacrent de leur temps et de leur talent à rehausser le niveau des universités en difficulté. En réalité, le système éducatif devient pénalisant, décide pour les jeunes de cinq années de formation, d’un parcours de vie, et bloque la mobilité sociale dès le début de la vie.

    Quoi de plus égalitariste que le tirage au sort

    A l’opposé de ce système, le recours au tirage au sort d’APB avait été fortement critiqué. L’écriture de l’algorithme de Parcoursup, qui découle de la loi ORE, exclut d’ailleurs désormais la formulation hiérarchisée de vœux et le recours au tirage au sort. Et pourtant, quoi de plus égalitariste que le tirage au sort puisqu’il permet, d’une manière générale, de rétablir une certaine égalité des chances ? Dans le sport, à la Coupe du Monde par exemple, on tire les équipes au sort. Ce critère est souvent présent dans nos vies.

    Etant donné qu’il n’y a pas partout suffisamment de places en fonction du nombre de demandes, que l’on ait donc opté pour le critère du tirage au sort pour départager les étudiants en dernier ressort était le signe d’une société qui se voulait égalitaire. Ce critère n’est sans doute pas indemne de critiques, mais ce qui importe est qu’il s’inscrivait dans une logique qui se voulait égalitariste et qui était le choix d’une France de gauche. 

    Avec le tirage au sort, on rebattait les cartes, on accordait moins d’importance au relevé des notes passées, à la réputation du lycée, à la localisation géographique puisque ce système n’avait pas pour but de classer et de sélectionner l’ensemble des étudiants. On envoyait le signal à tous les étudiants que, moyennant la satisfaction des attendus, que quelle que soit la réputation d’un établissement supérieur, quel que soit son ranking objectif ou imaginaire, ils avaient une chance.

    Bien sûr, des étudiants brillants n’ont pas obtenu la filière ou l’université de leur choix à cause du tirage au sort. Comment ne pas entendre leur déception ? Mais, au-delà des cas individuels malheureux, il faut prendre la mesure de l’orientation inégalitaire générale qui a succédé à APB. La France était pourtant déjà de tous les pays européens le plus inégalitaire avec celui de l’Angleterre. Un système comme APB ou Parcoursup serait inimaginable ailleurs en Europe parce que l’on considère que chacun doit avoir sa chance. Et Parcoursup n’est qu’une seconde sélection puisqu’il ne concerne même pas les hautes écoles comme Polytechnique, Centrale ou HEC, où l’on rechigne en plus à appliquer les décrets européens favorisant la mobilité des étudiants. 

    Pour une participation citoyenne à l’écriture des algorithmes

    On entend déjà la communauté technocratique concéder qu’il faut améliorer Parcoursup. Mais elle ne remet nullement en cause son caractère sélectif et méritocratique. Il faut, dit-on, améliorer le délai de réception des propositions, diminuer le stress généré, bref retoucher la formule algorithmique à la marge. Si le but est au contraire de réduire les inégalités scolaires, la formule est à revoir dans sa philosophie première.

    Parcoursup est l’un des plus beaux exemples de la gouvernance algorithmique dans laquelle entre actuellement notre société. Nos existences vont être de plus en plus ceinturées par des algorithmes qui vont prendre des décisions pour nous. C’est pourquoi des voix s’élèvent pour défendre l’idée que des citoyens lambdas doivent désormais être associés à leur écriture. Dans le cas de Parcoursup, des enseignants, des parents, des étudiants. Naturellement, ils n’écriront pas les lignes de code C ou Java, mais ils doivent participer à déterminer les choix concrets dont sera porteur l’algorithme.

    Il s’agit en quelque sorte en appeler à une démocratie 3.0 dans laquelle les algorithmes qui nous gouvernent fassent l’objet de débats et soient issus de la réunion de trois types de développeurs : des informaticiens associés aux experts, des citoyens et des politiques. Cette perspective se trouve notamment chez Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009 pour ses travaux sur la gestion des biens communs, ou dans les travaux récents de Bruno Latour sur les initiatives citoyennes dans la gouvernance collective, ainsi que dans des expériences de démocratie algorithmique participative telle que "Code for America", née à Boston, et dont l’une des applications est justement l'accès aux écoles publiques. C’est la voie pour que les algorithmes qui nous gouvernent soient perçus comme équitables et acceptés par la population.

    Propos recueillis par Benoît Kanabus

    (*) Hugues Bersini est notamment l’auteur de "Big Brother is driving you. Brèves réflexions d'un informaticien obtus sur la société à venir", Académie royale de Belgique, 2017, et de "Haro sur la compétition", PUF, 2010.