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Les inégalités de revenu en Allemagne depuis la fin du 19e siècle
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Dans le cadre de la World Inequality Database que pilotent notamment Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, Charlotte Bartels (2017) s’est penchée sur la répartition de revenu en Allemagne. En constituant des données remontant jusqu’à l’unification des Etats allemands en 1871, c’est-à-dire au début de l’industrialisation allemande, elle approfondit un travail qu’avait antérieurement réalisé Fabien Dell (2007) et met ainsi en évidence l’évolution des inégalités allemands sur près d’un siècle et demi.
GRAPHIQUE 1 Part du revenu national détenue par les 10 % les plus rémunérés en Allemagne (en %)
La part du revenu détenue par les 1 % les plus rémunérés a fortement augmenté entre l’unification des Etats allemands et l’instauration de la République de Weimar en 1918. La concentration des revenus s’est temporairement réduite dans les années vingt, lorsque l’hyperinflation éroda la valeur des actifs financiers et que les hausses de salaires comprimèrent les profits des entreprises. Les politiques sociales mises en œuvre par la République de Weimar ont contribué à cette réduction des inégalités de revenu. Ces dernières s’accrurent fortement sous le régime nazi. Après la Seconde Guerre mondiale, la chute de la part des hauts revenus a été moins ample en Allemagne que dans d’autres pays développés, si bien que, relativement à ces dernières, la concentration des revenus a été élevée en Allemagne.
GRAPHIQUE 2 Part du revenu national détenue par les 1 % les plus rémunérés en Allemagne (en %)
Depuis le début du vingt-et-unième siècle, les parts du revenu national détenues par les hauts revenus a fortement augmenté et elles se rapprochent désormais des niveaux observés au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. La part du revenu détenue par le décile supérieur a ainsi retrouvé le niveau qu’elle atteignait à la veille de la Première Guerre mondiale. En 2013, c’est-à-dire à la dernière année disponible, la part du revenu nationale détenue par les 50 % les moins rémunérés s’élevait à 17 %, celle des 10 % les plus rémunérés à 40 % et celle des 1 % les plus rémunérés à 13 %. Les inégalités de revenu sont ainsi plus fortes en Allemagne qu’en France : dans l’Hexagone, en 2014, ces parts s’élevaient respectivement à 23 %, 32 % et 11 % [Garbinti et alii, 2018].
Bartels ne s’est pas contentée de décrire l’évolution du partage du revenu national allemande ; elle a également cherché à identifier les facteurs qui ont influencé celle-ci. (i) Dans la mesure où les hauts revenus ont toujours été pour l’essentiel des entrepreneurs, la part du revenu national qu’ils perçoivent tend à augmenter avec les profits des entreprises individuelles et la part du revenu rémunérant le capital. Depuis les années quatre-vingt, les salariés très qualifiés représentent une part croissante des hauts revenus. La fiscalité, l’ouverture au commerce extérieur, le syndicalisme et le progrès technique ont également influé sur la part des hauts revenus, mais pas systématiquement, ni toujours dans le même sens. (ii) En comprimant les écarts de salaires, les syndicats ont joué un rôle important lors des diverses périodes où les inégalités chutèrent. Symétriquement, la densité syndicale a reculé sous le régime nazi (où les syndicats étaient prohibés) et au cours des dernières années. Ces phases de désyndicalisation ont été associées à un accroissement des parts des hauts revenus. (iii) Ce n’est que dans la période récente que le commerce international est associé à une hausse des parts des hauts revenus ; dans les décennies qui ont suivi le début de l’industrialisation, lors de la mondialisation de la fin du dix-neuvième siècle, les gains tirés de l’ouverture commerciale étaient mieux répartis au sein de la population allemande. (iv) Le progrès technique (mesuré par le nombre de dépôts de brevets par tête) a été la plupart du temps associé à une déformation du partage du revenu national au profit des hauts revenus. (v)Lors de l’industrialisation, les taux marginaux d’imposition ont eu tendance à augmenter avec la part des hauts revenus ; lors de la période récente, la baisse des taux marginaux d’imposition des hauts revenus et des taux moyens d’imposition semble avoir alimenté la déformation du partage des revenus au profit des hauts revenus.
Références