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La réforme des retraites, fidèle au CNR ? Voilà pourquoi c’est faux

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Lien publiée le 22 décembre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.regards.fr/idees/article/la-reforme-des-retraites-fidele-au-conseil-national-de-la-resistance-voila

Le gouvernement se targue de proposer une réforme des retraites dans la lignée des réformes du CNR après-guerre. Un « abus de langage », pour le dire poliment.

Michel Pigenet est professeur émérite d’histoire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Regards. Édouard Philippe n’hésite pas à qualifier sa réforme des retraites de « pacte fidèle dans son esprit à celui que le CNR a imaginé et mis en œuvre après guerre pour créer le système de retraites actuel ». Qu’en dites-vous ?

Michel Pigenet. La comparaison est pour le moins osée. Les réformes de la Libération, dont relève la sécurité sociale, participent d’une refondation de la République, à travers un nouveau pacte social qui ne se paie pas seulement de mots. La Constitution qualifie la République de « démocratique et sociale » et les réformes en témoignent par les protections et garanties qu’elles apportent. Elles ne sont pas imposées, mais négociées, co-construites, en premier lieu avec les syndicats, qui sont alors reconnus comme des interlocuteurs privilégiés. Assimiler le contenu et les modalités de ce qui se met en place à la Libération à ce qu’il se passe aujourd’hui participe pour le moins d’un abus de langage.

Après 1945, quelle était l’ambition du CNR ?

Le système qui se met en place après la guerre – qui n’est pas une création au sens strict, puisqu’il y avait déjà des assurances sociales – s’inspire du programme du CNR, élaboré dans la clandestinité, qui prévoyait « un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils ne sont pas capables de se les procurer par le travail ». Ce n’est pas une innovation, mais c’est un progrès considérable. Les ordonnances fondatrices de la sécurité sociale, promulguées en octobre, lui fixe l’objectif de « débarrasser les travailleurs des incertitudes du lendemain » et de « les garantir, ainsi que leurs familles, contre les risques de toute nature ». Ce projet ambitieux, et plus encore en ces temps de pénurie et de production industrielle tombée à 40% de son niveau d’avant-guerre, va améliorer la situation sociale. À l’instar des autres réformes, il est aussi la contrepartie des efforts demandés pour la « bataille de la production ». Par rapport aux anciennes assurances sociales, le niveau de cotisation pour la maladie et la vieillesse, passant de 8 à 16% des salaires, autorise une meilleure protection des travailleurs. Fait notable, le financement sort de la stricte parité antérieure : les employeurs contribuent à hauteur de 10% contre 6% pour les salariés. Il faut ajouter à cela les allocations familiales, à la seule charge des employeurs et pour 12% du salaire. La réforme est largement approuvée. À l’heure du vote de l’Assemblée consultative, le projet est adopté à l’unanimité moins une voix et l’abstention du MRP, mais l’universalité initialement prévue n’est pas réalisée. Outre le coût de sa mise en œuvre au regard des ressources du pays, les « indépendants » – agriculteurs, commerçants, artisans, professions libérales – refusent de s’affilier au régime général par crainte de servir de vaches à lait aux salariés. Ils vont toutefois assez vite se rendre compte des avantages de la sécurité sociale et obtenir, entre 1948 et 1952, la création de caisses de retraite distinctes, dont les déficits seront comblés… par le régime général. Les régimes « spéciaux » sont par ailleurs préservés.

« Après 1945, la situation économique ne permet pas de porter le régime général au niveau des régimes spéciaux. Il n’est pas plus envisageable, dans le contexte social et politique de l’époque, d’opérer leur alignement par le bas. »

Le gouvernement se félicite de mettre fin aux régimes spéciaux, au nom de l’universel. Pourtant, déjà policiers, sénateurs et marins ont obtenu des exceptions à cette réforme. Quel était le but de la création de ces régimes spéciaux ?

Après 1945, les régimes plus avantageux, qui furent longtemps pionniers et servirent de référence aux salariés privés de pensions, restent à l’écart du régime général. Celui fixe l’âge de la retraite à 65 ans, au terme de 30 annuités de cotisation et pour un taux de remplacement de 40%. La situation économique ne permet pas de porter le régime général au niveau des régimes spéciaux. Il n’est pas plus envisageable, dans le contexte social et politique de l’époque, d’opérer leur alignement par le bas. Revenons en arrière. Le point de départ de ces régimes pionniers, c’est le cœur régalien de l’État : les militaires. L’État monarchique a besoin de s’assurer la loyauté de ceux qui portent les armes pour lui, donc il faut leur assurer un certain nombre d’avantages, de gages destinés à consolider cette loyauté. Cela remonte au XVIIème siècle, avec la création de l’hôtel des Invalides, bâti pour accueillir les militaires blessés ou trop âgés. L’initiative est étendue aux marins et évolue avec l’institution de pensions. La Révolution française maintient ce système et tente même de l’élargir aux fonctionnaires civils. Mais le budget ne suit pas. Il faut attendre 1853 pour qu’une loi harmonise et garantisse les retraites des fonctionnaires, civils et militaires. Cette forme de paternalisme inauguré par l’État va gagner ses marges et inspirer des entreprises privées, également soucieuses d’attirer et de fidéliser leurs personnels, de compenser les dangers et la pénibilité de certains travaux, etc. L’État s’en mêle parfois, lorsque l’activité est jugée vitale et stratégique pour le pays ou s’exerce sous sa tutelle, sur le domaine public ou sous le régime de concession de service public. Ainsi en va-t-il avec les mines ou les chemins de fer, qui appartiennent alors à des compagnies privés et pour lesquelles des lois réglementent et uniformisent, en 1894 et 1909, les caisses de retraites déjà existantes. Arrive la loi de 1910, dite des retraites ouvrières et paysannes, qui est la première loi d’assurance sociale obligatoire. Comme son nom l’indique, elle instaure un régime de retraite des salariés et, à titre facultatif, des paysans et des artisans. Fondée sur la capitalisation, elle prévoit le versement de pensions très modestes à la petite minorité de cotisants ayant la chance d’atteindre 65 ans, âge abaissé à 60 ans en 1912. En ce début du XXe siècle, en effet, l’espérance de vie des ouvriers tourne autour de 48 ans. Seuls 5% des travailleurs arrivent à 65 ans et il n’y a pas de réversion ! Beaucoup refusent, en conséquence, de cotiser à fonds perdu. La CGT, très critique, parle de « retraite pour les morts ».

« 1982 constitue la pointe ultime des réformes progressistes en matière de retraite. Dès 1987, s’enclenche le long cycle des contre-réformes régressives dans lequel s’inscrit le projet de 2019. »

Pourquoi l’ajustement des retraites par le haut ne s’est-elle jamais faite – étant donné que nous avons toujours des régimes spéciaux… ?

On l’a vu, à la Libération, l’économie oblige à en rabattre sur les ambitions initiales et l’on ne conçoit pas de supprimer les acquis des bénéficiaires de régimes pionniers-spéciaux. Mais on ne renonce pas à améliorer le régime général. C’est flagrant dans les années 1970, au terme d’une longue période de croissance économique et au plus fort des mobilisations sociales des « années 68 ». L’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes est une revendication importante de l’époque. En 1982, la loi instaure la retraite à 60 ans. Entre temps, nombre d’avancées ont été réalisées. Le taux de remplacement a ainsi été porté à 50% et les retraites complémentaires, d’abord réservées aux cadres, se sont généralisées. La vieillesse cesse d’être synonyme de pauvreté et l’espérance de vie s’allonge. 1982 constitue la pointe ultime des réformes progressistes en matière de retraite. Dès 1987, s’enclenche le long cycle des contre-réformes régressives dans lequel s’inscrit le projet de 2019.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc