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Chomsky : Les sanctions américaines contre l’Iran aggravent les souffrances des Iraniens

Iran

Lien publiée le 22 décembre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

» Chomsky : Les sanctions américaines contre l’Iran aggravent les souffrances des Iraniens (les-crises.fr)

Les manifestations font rage en Iran depuis la mi-septembre en réaction à la mort de Mahsa Amini, une Iranienne d’origine kurde de 22 ans, décédée dans un hôpital de Téhéran après avoir été arrêtée quelques jours plus tôt par la police des mœurs iranienne pour avoir soi-disant enfreint le code vestimentaire des femmes fixé par le régime théocratique islamique. Les manifestants qualifient largement sa mort de meurtre perpétré par la police (on soupçonne qu’elle a succombé aux coups qui lui ont été portés), mais l’Organisation médico-légale iranienne a démenti cette version dans un rapport médical officiel.

Source : Truthout, C.J. Polychroniou, Noam Chomsky
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Des supporters iraniens brandissent une banderole sur laquelle est inscrit « Femme Vie Liberté » pendant le match du groupe B de la Coupe du Monde de la FIFA, Qatar 2022 entre l’Angleterre et l’Iran au Khalifa International Stadium, le 21 novembre 2022, à Doha, au Qatar. JUAN LUIS DIAZ / QUALITY SPORT IMAGES / GETTY IMAGES

Depuis septembre, les manifestations – menées par des femmes de tous âges qui défient non seulement les codes vestimentaires obligatoires mais aussi la violence sexiste et la violence d’État sous toutes ses formes – se sont répandues à pas moins de 50 villes et villages. Cette semaine encore, des acteurs et des équipes sportives de premier plan ont rejoint le mouvement de protestation qui prend de l’ampleur et qui touche tous les secteurs de la société iranienne.

En Iran, la lutte pour les droits des femmes ne date pas d’hier. Elles ont été à l’avant-garde de la révolution de 1979 qui a conduit à la chute du régime Pahlavi, bien qu’elles aient bénéficié de bien plus de libertés sous le Shah qu’après l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini. Dans le cadre de la volonté de celui-ci de fonder une théocratie islamique, un décret a été pris, immédiatement après la mise en place du nouveau régime, il stipulait que les femmes devaient désormais porter un voile dans les bureaux administratifs. Les Iraniennes ont organisé des manifestations massives lorsqu’elles ont appris que le nouveau gouvernement allait imposer le port du voile. Mais le régime théocratique qui a remplacé le Shah était bien déterminé à écraser toute autonomie des femmes. « En 1983, le Parlement a décidé que les femmes qui ne couvrent pas leurs cheveux en public seront punies de 74 coups de fouet », rapporte le média Deutsche Welle. « Depuis 1995, les femmes non voilées peuvent également être condamnées à des peines de prison allant jusqu’à 60 jours. »

Mais les manifestations d’aujourd’hui expriment une opposition non seulement à certaines lois, mais à l’ensemble du système théocratique iranien : Comme Frieda Afary l’a rapporté pour Truthout, les manifestants ont scandé qu’ils ne voulaient « ni monarchie, ni clergé ». Et comme l’écrit Sima Shakhsari, les manifestations portent également sur les politiques économiques nationales dont les conséquences ont été aggravées par les sanctions américaines.

Elles ont gagné une grande partie du pays et sont désormais soutenues par des travailleurs de tous les secteurs, des professionnels tels que des médecins et des avocats, des artistes et des commerçants. En réponse, le régime intensifie sa répression violente à l’encontre des manifestants et de nombreux artistes, cinéastes et journalistes ont été arrêtés ou interdits de travail en raison de leur soutien aux manifestations antigouvernementales.

S’agit-il d’une révolution en devenir ? Noam Chomsky nous éclaire sur cette question et bien d’autres dans l’interview exclusive ci-dessous. Noam Chomsky est professeur émérite du département de linguistique et de philosophie du MIT, professeur lauréat de linguistique [Le titre de professeur lauréat est décerné aux universitaires les plus éminents en reconnaissance de leurs réalisations et de leur contribution exceptionnelle à leur domaine d’études et à leur université, NdT] et titulaire de la chaire Agnese Nelms Haury du programme sur l’environnement et la justice sociale de l’université d’Arizona. Il est l’un des chercheurs les plus fréquemment cités dans le monde et un intellectuel reconnu considéré par des millions de personnes comme un trésor national et international, Chomsky a publié plus de 150 ouvrages sur la linguistique, la pensée politique et sociale, l’économie politique, l’étude des médias, la politique étrangère des États-Unis et les affaires mondiales. Ses derniers livres sont The Secrets of Words (avec Andrea Moro ; MIT Press, 2022) (Le mystère des mots, non traduit) ; The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of US Power (avec Vijay Prashad (Le repli : Irak, Libye, Afghanistan, et la fragilité de la puissance américainenon traduit ) ; The New Press, 2022) ; et The Precipice : Neoliberalism, the Pandemic and the Urgent Need for Social Change (avec C. J. Polychroniou ; Haymarket Books, 2021) (Le Précipice : néolibéralisme, pandémie et urgence d’un changement socialnon traduit).

C.J. Polychroniou : Noam, les femmes iraniennes ont commencé à manifester contre les politiques islamiques du gouvernement, en particulier celles qui concernent les codes vestimentaires, mais les contestations semblent maintenant porter sur l’échec global des réformes menées par le régime. La conjoncture économique, qui connaît une spirale négative, semble également contribuer à faire descendre les gens dans la rue pour exiger des changements. En fait, les enseignants, les commerçants et les travailleurs de toutes les industries se sont engagés respectivement dans des grèves sur le tas et des débrayages, dans un contexte de manifestations persistantes. En outre, il semble y avoir une certaine cohésion entre les différents sous-groupes ethniques qui partagent la colère du peuple contre le régime, probablement pour la première fois depuis l’avènement de la République islamique. Cette description de ce qui se passe en Iran dans le cadre des manifestations vous semble-t-elle assez précise ? Si oui, est-il également pertinent de parler d’une révolution en marche ?

Noam Chomsky : Cela me semble exact, bien que vous alliez peut-être trop loin en parlant d’une révolution en marche.

Les sanctions à l’encontre de l’Iran restent une politique bipartisane, avec peu de débat public.

Ce qui se passe est tout à fait exceptionnel, par son ampleur et son intensité, et surtout par l’attitude de courage et de résistance face à une répression brutale. C’est également exceptionnel par le rôle prépondérant du leadership des femmes, en particulier des jeunes femmes.

Le terme « leadership » peut être trompeur. Le soulèvement ne semble pas avoir de leader, et il n’a pas non plus de priorités ou d’objectifs plus larges qui soient clairement définis, hormis le renversement d’un régime détesté. À cet égard, une mise en garde s’impose. Nous disposons de très peu d’informations relatives à l’opinion publique Iranienne, en particulier concernant la situation dans les zones rurales, où il se pourrait que le soutien au régime clérical et à sa pratique autoritaire soit beaucoup plus affirmé.

La répression exercée par le régime a été beaucoup plus sévère dans les régions d’Iran peuplées par les minorités ethniques kurdes et baloutches. Il est généralement reconnu que la réaction du Guide suprême Ali Khamenei sera déterminante. Ceux qui connaissent son parcours estiment que sa réaction sera influencée par sa propre expérience de la résistance qui a renversé le Shah en 1979. Il pourrait bien partager l’avis des faucons américains et israéliens qui voudrait que si le Shah avait été plus énergique et avait fait preuve de fermeté, il aurait pu réprimer les protestations par la violence. L’ambassadeur de facto d’Israël en Iran, Uri Lubrani, a clairement exprimé cette position à l’époque : « Je crois très sincèrement que Téhéran peut être reprise par une force relativement restreinte, déterminée, impitoyable, cruelle. Ce que je veux dire c’est que les hommes qui dirigeraient cette force devront être émotionnellement préparés à la possibilité de devoir tuer dix mille personnes. »

Des points de vue similaires ont été exprimés par l’ancien directeur de la CIA, Richard Helms, le haut fonctionnaire du Pentagone, Robert Komer, et d’autres partisans de la ligne dure. Il est permis de penser que si les manifestations se poursuivent, Khamenei adoptera une posture analogue et exigera une répression beaucoup plus violente.

Quant aux conséquences, on peut seulement spéculer sans grande certitude.

En Occident, les manifestations sont largement interprétées comme faisant partie d’une lutte incessante pour la construction d’un Iran laïque et démocratique, mais on oublie totalement le fait que les forces révolutionnaires actuelles en Iran s’opposent non seulement au gouvernement réactionnaire de Téhéran, mais aussi au capitalisme néolibéral et à l’hégémonie des États-Unis. Le gouvernement iranien, de son côté, qui recourt à des tactiques brutales pour disperser les manifestations dans tout le pays, en attribue la responsabilité à des «mains étrangères ». Dans quelle mesure devrions-nous assister à une certaine synergie entre les puissances étrangères et les forces intérieures en Iran ? Après tout, une telle interaction a joué un rôle majeur dans la configuration et le dénouement des manifestations qui ont éclaté dans le monde arabe en 2010 et 2011.

Il ne fait guère de doute que les États-Unis soutiendront les efforts visant à saper ce régime, qui est un ennemi de premier plan depuis 1979, date à laquelle le tyran soutenu par les États-Unis, qui avait été réinstallé par ceux-ci par un coup d’État militaire en 1953, a été renversé par un soulèvement populaire. Les États-Unis ont immédiatement soutenu fermement leur ami de l’époque, Saddam Hussein, dans son assaut meurtrier contre l’Iran, pour finalement intervenir directement afin de provoquer la quasi-capitulation de l’Iran, une épreuve que les Iraniens ne sont pas prêts d’oublier, et les pouvoirs en place très certainement encore moins.

Les sanctions ont porté un coup sévère à l’économie iranienne, causant au passage d’immenses souffrances. Mais tel est l’objectif des États-Unis depuis plus de 40 ans.

À la fin de la guerre, les États-Unis ont imposé des sanctions sévères à l’Iran. Le président Bush I – qui était un homme d’État – a invité des ingénieurs nucléaires irakiens aux États-Unis pour une formation de pointe sur le développement d’armes nucléaires et a envoyé une délégation de premier plan pour assurer Saddam du soutien ferme de Washington à son égard. Des menaces très sérieuses pour l’Iran.

Les sanctions à l’encontre de l’Iran restent une politique bipartisane, avec peu de débat public. La Grande-Bretagne, le tortionnaire traditionnel de l’Iran avant que les États-Unis ne la remplacent lors du coup d’État de 1953 qui a renversé la démocratie iranienne, est susceptible, comme d’habitude, de suivre docilement les États-Unis ainsi sans doute que d’autres alliés. Israël ne manquera certainement pas de faire tout ce qu’il peut pour renverser son ennemi juré depuis 1979, Israël était auparavant un allié proche du temps du Shah, même si ces relations privilégiées étaient clandestines.

Tant les États-Unis que l’Union européenne ont imposé de nouvelles sanctions à l’Iran en raison de la répression des manifestations. Or celles-ci n’ont-elles pas été contre-productives ? En fait, les régimes sanctionnés n’ont-ils pas tendance à devenir plus autoritaires et répressifs, les gens ordinaires étant beaucoup plus affectés que les détenteurs du pouvoir ?

Il faut toujours se demander : contre-productif pour qui ? Les sanctions ont généralement l’effet que vous décrivez et seraient « contre-productives » si les objectifs annoncés – toujours nobles et humains – avaient le moindre rapport avec les objectifs réels. C’est rarement le cas.

Les sanctions ont porté un coup sévère à l’économie iranienne, causant au passage d’immenses souffrances. Mais tel est l’objectif des États-Unis depuis plus de 40 ans. Pour l’Europe, c’est une autre affaire. Les entreprises européennes voient en l’Iran une opportunité d’investissement, de commerce et d’extraction de ressources, toutes bloquées par la politique américaine consistant à écraser l’Iran.

En fait, il en va de même pour les sociétés américaines. Voilà un des rares cas édifiants – Cuba en est un autre – où les intérêts à court terme des maîtres de la société ne sont pas « servis au mieux » par le gouvernement qu’ils contrôlent pourtant en grande partie (pour emprunter à Adam Smith son expression pour désigner la pratique habituelle). Le gouvernement, dans ce cas, poursuit des intérêts de classe plus larges, ne tolérant aucune autonomie « dangereuse » par rapport à sa volonté. Il s’agit d’une question essentielle qui, dans le cas de l’Iran, date à certains égards du début de l’intérêt de Washington pour ce pays en 1953. Et dans le cas de Cuba, cela remonte à sa libération en 1959.

Une dernière question : Quel impact les manifestations pourraient-elles avoir au Moyen-Orient ?

Cela dépend beaucoup de ce qui en sortira, tout est incertain. Je ne vois guère de raison d’en attendre un impact majeur, quelle que soit l’issue. L’Iran chiite est assez isolé dans une région largement sunnite. Les dictatures sunnites du Golfe sont en passe de se réconcilier avec l’Iran, au grand dam de Washington, mais il est peu probable qu’elles se préoccupent de la répression brutale, ce qui est leur propre mode de vie.

Une révolution populaire réussie les concernerait sans aucun doute et pourrait « propager la contagion », comme le dit la rhétorique kissingerienne. Mais cette éventualité reste trop lointaine pour permettre aujourd’hui de formuler des spéculations pertinentes.

Copyright © Truthout. Ne peut être réimprimé sans autorisation.

C.J. Polychroniou

C. J. Polychroniou est économiste politique/scientifique politique, auteur et journaliste. Il a enseigné et travaillé dans de nombreuses universités et centres de recherche en Europe et aux États-Unis. Actuellement, ses principaux intérêts de recherche portent sur l’intégration économique européenne, la mondialisation, le changement climatique, l’économie politique ainsi que la politique des États-Unis et la déconstruction du projet politico-économique du néolibéralisme. Il contribue régulièrement à Truthout et est membre du Public Intellectual Project de Truthout. Il a publié de nombreux livres et plus de 1000 articles qui sont parus dans une variété de revues, de magazines, de journaux et de sites d’information populaires. Nombre de ses publications ont été traduites en plusieurs langues étrangères, notamment en arabe, chinois, croate, espagnol, français, grec, italien, néerlandais, portugais, russe et turc. Ses derniers livres sont Optimism Over Despair : Noam Chomsky On Capitalism, Empire, and Social Change (2017)Climate Crisis and the Global Green New Deal : The Political Economy of Saving the Planet (avec Noam Chomsky et Robert Pollin comme principaux auteurs) ; The Precipice : Neoliberalism, the Pandemic, and the Urgent Need for Radical Change, une anthologie d’entretiens avec Chomsky publiée à l’origine sur Truthout et rassemblée par Haymarket Books ( 2021); et Economics and the Left: Interviews with Progressive Economist (2021).

Source : Truthout, C.J. Polychroniou, Noam Chomsky, 23-11-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises