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Retraites : pourquoi le gouvernement refuse (à tort) d’augmenter les cotisations
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le déficit prévu du système de retraite n’est pas lié à un dérapage des dépenses mais à un manque de recettes. Pourtant, le gouvernement refuse d’envisager une hausse des cotisations au motif que cela nuirait au pouvoir d’achat, à l’emploi et à la compétitivité. Décryptage.
Pour justifier sa réforme, le gouvernement ne cesse d’agiter le chiffon rouge du déficit. Ce serait la réforme ou la faillite. Certes, la situation financière du système de retraite devrait légèrement se dégrader dans les prochaines années. Mais le déficit de 10,7 milliards d’euros attendu en 2027 pèse bien peu face aux 350 milliards d’euros de dépenses totales du système chaque année.
Surtout, pour appréhender cette information avec justesse, il est indispensable d’identifier la cause de ce déficit. Est-il lié à une progression incontrôlée des dépenses de retraite ? Non, répond clairement le Conseil d’orientation des retraites (COR). Le problème tient à un manque de recettes. Et si, pour y remédier, on augmentait plutôt les cotisations retraite que la durée de travail ? Dans son dossier de presse présentant la réforme, le gouvernement indique qu’il souhaite récupérer, grâce à elle, 17,7 milliards d’euros à horizon 2030. De quoi résorber le déficit estimé à cet horizon et financer les mesures d’accompagnement pour certaines catégories de salariés (pénibilité, carrières longues notamment).
Pour équilibrer le régime en 2027 en jouant sur le niveau des cotisations retraite, est-il encore expliqué, une hausse de 0,8 à 0,9 point est nécessaire. Cette option n’est toutefois pas explorée plus longuement. Motif : elle reviendrait à « alourdir massivement les prélèvements opérés sur les ménages et les entreprises ».
L’argument du pouvoir d’achat
Plusieurs arguments massues sont régulièrement utilisés par les défenseurs de la réforme actuelle pour couper court à ce débat sur une éventuelle hausse des cotisations. A commencer par celui du pouvoir d’achat. « Le contexte inflationniste actuel ne favorise pas un débat apaisé sur le sujet », admet Vincent Touzé, spécialiste des enjeux économiques du vieillissement à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Si on augmente les cotisations retraite, expliquait Emmanuel Macron dès le mois d’octobre, « en 2027, en moyenne par travailleur, il faudra payer 400 euros en plus par an ». Sauf que cette hausse sera variable selon que l’on touche le Smic ou un salaire de cadre supérieur. Selon les calculs effectués par Michael Zemmour, maître de conférences en économie à l’université Paris Panthéon-Sorbonne et chercheur au Liepp (Sciences Po), cela donnerait 14 euros nets par mois en 2027 pour une personne au Smic (soit 168 euros annuels), et 28 euros nets pour une personne au salaire moyen (soit 336 euros annuels), en faisant l’hypothèse extrême que l’intégralité de la hausse des cotisations est supportée par les salariés. Cet impact sur les actifs pourrait être réduit de moitié « dès lors que les employeurs en assumeront leur part », insiste l’association Attac.
Tout n’est, en effet, pas censé peser sur le porte-monnaie des travailleurs. Les cotisations retraite se répartissent entre une part salariale (40 %) et une part acquittée par les employeurs (60 %). Sauf qu’en pratique, ces derniers la répercutent en diminuant le salaire net de leurs employés.
Tout ceci pris en compte, si on veut encore réduire l’impact sur le pouvoir d’achat, « il est possible d’être deux fois moins ambitieux », précise Michael Zemmour. Augmenter les cotisations de 0,4 point rapporterait tout de même 6 milliards, etc. Par ailleurs, selon les hypothèses du gouvernement et du COR, le salaire net moyen augmenterait de 128 euros d’ici à 2027 et le Smic d’au moins 32 euros. Les hausses de cotisations se traduiraient donc, non pas par une perte sèche, mais par un moindre gain par rapport à la situation actuelle.
Par ailleurs, rien n’oblige à appliquer la même hausse de cotisations à tous les niveaux de salaires. On peut, par exemple, n’augmenter les cotisations retraite qu’au-delà du plafond de la sécurité sociale (3 666 euros brut mensuels) qui n’ouvre plus de droits supplémentaires. « Augmenter d’un point le taux de cotisation déplafonnée rapporterait 6 milliards d’euros », avance le groupe parlementaire LFI-Nupes.
Question d’emploi et de compétitivité
Autres arguments massues mobilisés par les défenseurs de la réforme actuelle pour décrédibiliser l’option d’une hausse des cotisations : cela nuirait à l’emploi et à la compétitivité des entreprises françaises. Est-ce crédible ? Un coup d’œil dans le rétroviseur est nécessaire. « Dans les années 1960, les cotisations sociales (parts patronales et salariales ensemble) représentaient environ 25 % du coût du travail total ; aujourd’hui, elles représentent plus de 40 % », rappelait récemment Thomas Breda, chercheur associé à l’Ecole d’économie de Paris, dans nos colonnes. Pourtant, aucune baisse du taux de marge des entreprises n’a été constatée sur la période.
Les allègements de cotisations se sont, malgré tout, multipliés depuis le milieu des années 1990. D’abord concentrés au niveau du Smic, ils se sont progressivement élargis pour tenter à la fois de doper l’emploi et la compétitivité. « Ils ont atteint leur objectif d’emploi, avance Olivier Redoules, directeur des études chez Rexecode. Pour un niveau de croissance donné, l’économie crée aujourd’hui plus d’emplois qu’auparavant ». En regardant dans le détail, « les effets sur l’emploi sont les plus forts pour les exonérations de cotisations qui concernent les salaires les plus bas », tempère toutefois l’expert.
« La partie ciblée sur les salaires supérieurs à 2,5 Smic, est à la fois inutile et coûteuse, affirme ainsi Michael Zemmour. Sa suppression rapporterait à l’Etat 2 milliards d’euros ». Le Conseil d’analyse économique (CAE) plaide même pour « une remise en cause des réductions du coût du travail au-delà du seuil de 1,6 Smic, si les évaluations à venir confirmaient les résultats décevants tant sur l’emploi que sur les exportations. » La suppression des exonérations prévues entre 1,6 et 3,5 Smic par le pacte de responsabilité rapporterait 4 milliards d’euros.
N’y a-t-il pas des risques, toutefois, à supprimer ces exonérations trop rapidement ? « La succession en peu de temps de réformes d’orientations différentes crée une incertitude qui, pour les entreprises, n’est pas favorable à l’embauche, admet Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’université Gustave-Eiffel. Mais, ajoute-t-il, pour augmenter les recettes issues des cotisations, on doit réfléchir aujourd’hui d’abord à supprimer des exonérations de cotisations, avant d’en venir si besoin à des augmentations de taux. Et cette première option influence moins le comportement des entreprises, car les exonérations sont perçues comme un dispositif plus facilement réversible qu’une hausse de taux de cotisations. »
Côté compétitivité, on apprend dans la dernière enquête de Rexecode sur le sujet que le coût salarial représente seulement 18 % de la valeur de production dans l’industrie manufacturière, contre 70 % par exemple pour les consommations intermédiaires. La compétitivité française, plombée par le coût du travail ? Ce serait oublier un peu vite que la dégradation de notre commerce extérieur depuis vingt ans tient aussi en grande partie à un problème de compétitivité hors coût lié au contenu en innovation technologique des produits français.
Une hausse des cotisations « ne paraît pas envisageable quand le poids des prélèvements s’établit déjà en France à un niveau très élevé en comparaison internationale », poursuit le gouvernement. Sans prendre soin de préciser que ces comparaisons sont toujours hasardeuses. Comment comparer, en effet, le niveau de prélèvements de la France qui a un système de retraite public, avec d’autres pays comme les Pays-Bas, le Canada ou le Royaume-Uni qui ont fait d’autres choix de société, et où quasiment la moitié des dépenses de retraite sont privées ?
« Ce n’est pas parce que le gouvernement cherche à évacuer la question des retraites rapidement que toutes les marges dont nous disposons doivent forcément y être affectées, nuance Vincent Touzé. La question de la hausse des cotisations mérite d’être posée, à condition qu’elle s’intègre dans une réflexion plus large sur l’adaptation de nos sociétés au vieillissement. Il faut aussi réfléchir à des modes de financement pour la dépendance, par exemple. »