[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Agenda militant

    Newsletter

    Ailleurs sur le Web [RSS]

    Lire plus...

    Twitter

    Protectionnisme, dévaluation du dollar : la politique de Trump est vouée à l’échec, par Michael Roberts

    économie

    Lien publiée le 15 avril 2025

    Tweeter Facebook

    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://www.revolutionpermanente.fr/Le-protectionnisme-de-Trump-et-la-devaluation-du-dollar-sont-voues-a-l-echec-par-Michael-Roberts

    Pour Michael Roberts, la stratégie de Trump est vouée à l’échec : les droits de douane ne peuvent compenser la faible compétitivité des entreprises étasuniennes tandis que la tentative de dévaluer le dollar, comme en 71 et 85, ne peut enrayer le déclin économique de Washington. Une politique dont les travailleurs étasuniens seront les premiers à payer les conséquences.

    Cet article a été publié, le 13 avril 2025, sur TheNextRecession.

    Malgré le recul de Trump sur la mise en œuvre de ses droits de douane calculés sur des bases pour le moins délirantes et imposés à tous les pays du monde (y compris à des îles qui ne comptent, pour seuls habitants, que des manchots, comme Heard et McDonald, situées à 3000 km de l’Australie), la guerre commerciale est loin d’être terminée. La Chine maintient son taux de taxation des importations étasuniennes à un taux plus élevé qu’avant que Trump ne cède. Selon Stephen Brown de Capital Economics, la promesse de Trump de taxer à hauteur de 125 % les produits chinois porte le taux effectif des droits de douane américains à 27 %.

    Si Trump a reculé, c’est parce que le marché obligataire montrait des signes de tension extrême, susceptibles de provoquer un resserrement du crédit, notamment pour les hedge funds détenant un stock important d’obligations américaines. Or, si les obligations s’effondrent, de nombreuses entreprises pourraient faire faillite, en particulier les sociétés « zombies », très endettées, qui représentent environ 20 % des entreprises aux États-Unis. Ces faillites auraient pu ensuite se propager dans toute l’économie, entraînant un krach financier et une récession.

    Ce n’était pas le seul problème de Trump. La hausse de 125 % des droits de douane sur les importations en provenance de Chine aurait rendu les exportations de produits high-tech non-compétitives pour les entreprises étasuniennes dont une partie importante de la chaîne de production est basée en Chine. Des sociétés comme Apple, principaux exportateurs d’iPhone depuis la Chine, auraient été durement touchées. Environ 90 % de la production et de l’assemblage des iPhone d’Apple a lieu en Chine. Prenons l’exemple d’un iPhone : moins de 2 % de son prix de production revient aux travailleurs chinois qui le fabriquent tandis qu’Apple réalise une marge brute estimée à 58,5 % sur ses téléphones. Perturber cette chaîne d’approvisionnement affecterait davantage les États-Unis que la Chine. Les entreprises américaines ont manifesté leur mécontentement et Trump a donc dû reculer une fois de plus. Ainsi, tous les produits technologiques à destination du grand public importés depuis la Chine, qui représentent 22 % des exportations chinoises à destination des Etats-Unis, sont désormais exemptés de droits de douane.

    Le coût politique des revirements successifs de Trump sur les droits de douane transparaît également dans le fait que les composants nécessaires à la fabrication des iPhone et iPad restent soumis à la hausse des droits de douane, contrairement au produit fini. Selon la National Association of Manufacturers des États-Unis, 56 % des biens importés aux États-Unis sont en réalité des intrants industriels, dont une grande partie provient de Chine. Les hausses de prix se répercuteront sur de nombreux produits finis. Les exemptions accordées aux produits technologiques grand public ne s’appliquent qu’aux droits de douane entrées en vigueur après la réponse de la Chine aux premières attaques de Trump. Toutes les importations en provenance de Chine, y compris les biens exemptés de ces droits de rétorsion, restent soumises à un taux supplémentaire de 20 %. De plus, Trump prévoit d’élever les barrières douanières sur les importations de semi-conducteurs, ce qui affectera des entreprises comme Apple.

    Les États-Unis importent beaucoup de produits de base en provenance de Chine. En 2024, les produits chinois représentaient 24 % de leurs importations de textile et vêtements (soit 45 milliards de dollars), 28 % des meubles (19 milliards) et 21 % des importations de matériel électronique et de machines (206 milliards). Une augmentation de 100 points de pourcentage des droits de douane se traduira inévitablement par des hausses de prix pour les entreprises et les consommateurs. Ainsi, au lieu de nuire à la Chine, les taxes douanières de Trump frapperont encore plus durement l’économie américaine. La Chine, elle, est très peu dépendante des exportations vers les États-Unis, puisqu’elles représentent moins de 3 % de son PIB. Les consommateurs et les fabricants américains eux subiront des hausses de prix brutales – comme l’ont montré les précédents programmes tarifaires. Le directeur des affaires fiscales du FMI, Davide Furceri, constatait en 2020 que le PIB d’un pays a tendance à baisser après une forte hausse des droits de douane sur les importations. Ce déclin s’accentue avec les années – les conséquences à court terme ne représentent ainsi qu’un coût mineur comparée à celui à long terme.

    Dans le cas actuel des États-Unis, la chute significative des prix du pétrole brut met déjà en péril la rentabilité de la production pétrolière américaine. Les agriculteurs américains perdent du terrain sur les marchés mondiaux, la Chine se tournant vers le Brésil pour acheter des denrées alimentaires et des céréales. La part des États-Unis dans les importations alimentaires de la Chine s’est d’ores et déjà effondrée, passant de 20,7 % en 2016 à 13,5 % en 2023, tandis que celle du Brésil est passée de 17,2 % à 25,2 % sur la même période. Au premier trimestre 2025, les ventes de bœuf brésilien à la Chine ont augmenté d’un tiers par rapport à l’année précédente, tandis que les exportations agricoles étasuniennes vers la Chine ont chuté de 54 %.

    La Chine représente 7 % des exportations de marchandises des États-Unis, soit 0,5 % du PIB américain. Selon Pantheon Macroeconomics, le coup porté aux exportations américaines par une riposte chinoise agressive surpasserait tout gain de PIB résultant de l’annulation des droits de douane « réciproques ». Trump et ses conseillers MAGA affirment que les recettes tarifaires serviront à réduire les impôts des entreprises et ainsi stimuler l’investissement. Mais selon les dernières estimations du think tank Tax Foundation – avant que Trump ne fasse monter les enchères avec une taxe de 104 % sur les importations chinoises –, ces mesures rapporteraient environ 300 milliards de dollars par an en moyenne, bien en deçà des 2 milliards de dollars par jour avancés par Trump – une somme dérisoire comparée à la perte de revenus réels causée par les droits de douane.

    Les marchés financiers quant à eux restent plombés par l’incertitude et la crainte et ne montrent que peu de signes de reprise après les lourdes pertes enregistrées ces dernières semaines. Cela amène de nombreux analystes à penser que l’ère de la domination du dollar est peut-être révolue et que Trump a orchestré un affaiblissement durable du dollar par rapport aux autres monnaies, mettant fin au « privilège exorbitant » dont jouissaient les États-Unis en pouvant émettre des dollars à volonté pour financer leurs échanges et leurs investissements.

    En 1959, l’économiste belgo-américain Robert Triffin avait prédit que les États-Unis ne pourraient pas continuer à accumuler des déficits commerciaux avec d’autres pays, exporter des capitaux pour investir à l’étranger et maintenir un dollar fort : « Si les États-Unis continuaient à accumuler des déficits, leurs engagements extérieurs finiraient par dépasser largement leur capacité à convertir les dollars en or sur demande, ce qui provoquerait une crise de l’or et du dollar ». Triffin argumentait qu’un pays dont la monnaie sert de monnaie de réserve mondiale, détenue par d’autres nations pour servir de réserves de change pour faciliter le commerce international, est contraint de répondre à la demande mondiale – ce qui conduit inévitablement à un déficit commercial permanent.

    Le « dilemme de Triffin », selon lequel un pays qui détient une monnaie internationale perd en compétitivité commerciale, a été repris par Steve Miran, conseiller économique de Trump à la Maison Blanche. Miran en conclut que tous les pays qui jouissent d’une situation excédentaire dans leurs échanges avec les États-Unis doivent compenser le « sacrifice » que font les États-Unis. Mais comme le note le gourou keynésien Larry Summers : « Si la Chine veut nous vendre des choses à des prix très bas, et que la transaction consiste à ce que nous obtenions des panneaux solaires ou des batteries pour voitures électriques en échange de bouts de papier que nous imprimons, pensez-vous que c’est une bonne ou une mauvaise affaire pour nous ? » En fin de compte, ajoute Summers, qui est le plus lésé dans cette affaire : celui qui fournit le travail acharné pour produire des biens à des prix très bas avec des marges minuscules, ou celui qui imprime simplement une quantité virtuellement infinie de monnaie fiduciaire pour payer tout cela ?

    Triffin et Miran inversent la réalité : pour eux, si les États-Unis ont pu bénéficier d’importations bon marché pendant des décennies et accumuler un déficit commercial, c’est uniquement parce que les pays exportateurs vers les États-Unis ont accepté d’être payés en dollars et ont même réinvesti ces dollars dans des obligations américaines ou d’autres actifs libellés en dollars. Mais les pays excédentaires ne sont pas responsables des déficits commerciaux aux États-Unis et l’explication est beaucoup plus simple : les exportateurs américains ne peuvent tout simplement pas rivaliser avec eux, du moins dans le commerce des biens (les États-Unis affichent un excédent important dans le commerce des services). Heureusement pour les entreprises et les consommateurs américains, les pays excédentaires acceptent jusqu’à présent les dollars comme moyen de paiement. S’ils cessaient de le faire, l’économie américaine se trouverait en grande difficulté – comme de nombreux pays pauvres sans monnaie internationalement acceptée – et serait contrainte de dévaluer le dollar et/ou d’emprunter à des taux d’intérêt plus élevés.

    Dans le système capitaliste, il existe toujours des déséquilibres commerciaux et financiers entre les différentes économies. Non pas parce que les producteurs les plus compétitifs « imposeraient » des déficits aux moins performants, mais parce que le capitalisme provoque des effets de développement inégal et combiné : les économies où les coûts de production sont plus bas peuvent capter de la valeur, à travers le commerce international, aux dépens de celles qui sont moins compétitives. Ce qui inquiète vraiment les capitalistes américains, ce n’est pas que les pays excédentaires les obligent à émettre des dollars. Ce qui les préoccupe, c’est que la Chine est en train de rattraper les États-Unis en termes de productivité et de technologie — et menace ainsi leur position de domination économique.

    Pourtant, certains économistes mainstream adhèrent à l’argument ridicule de Miran et à l’erreur de Triffin. L’économiste très en vogue Michael Pettis, basé en Chine, en fait partie. Pettis affirme que des pays comme la Chine ont établi des excédents commerciaux parce qu’ils ont « supprimé la demande intérieure pour subventionner leur propre industrie manufacturière », forçant ainsi leurs partenaires « à absorber l’excédent manufacturier, faute de contrôle sur leurs comptes commerciaux et financiers ». Ainsi, la Chine (ou, encore récemment, l’Allemagne) seraient responsables des déséquilibres commerciaux. L’incapacité de l’industrie manufacturière américaine à rivaliser sur les marchés mondiaux face à l’Asie et même à l’Europe, ne serait pas en cause.

    En supposant l’absence de gouvernance mondiale et de coopération internationale sur les monnaies, Pettis rejoint Miran sur l’idée qu’il est « légitime pour les États-Unis d’agir unilatéralement pour inverser leur rôle dans la gestion des distorsions politiques à l’étranger, comme ils le font actuellement. La manière la plus efficace d’atteindre ce but serait probablement d’imposer des contrôles sur le compte de capital américain, limitant la capacité des pays excédentaires à équilibrer leurs excédents en acquérant des actifs américains ». Donc, pas de taxes sur les importations chinoises, mais des restrictions sur leurs achats d’actifs en dollars.

    En substance, il s’agit d’une autre manière de dévaluer le dollar pour affaiblir l’avantage à l’exportation de la Chine et booster les États-Unis. Miran et Pettis proposent une politique pour abaisser la valeur du dollar, comme Nixon l’a fait en 1971 en abandonnant l’étalon-or (le rôle de monnaie de réserve du dollar avait alors poussé le secrétaire au Trésor John Connally à déclarer aux ministres des Finances européens : « le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème »). Les États-Unis ont agi de même avec les accords du Plaza en 1985, qui ont forcé les pays excédentaires comme le Japon à augmenter leurs taux d’intérêt et à renforcer le yen, réduisant ainsi leurs exportations. Aujourd’hui, la réponse aux succès manufacturier et mercantiliste de la Chine consisterait apparemment à annihiler ses actifs en dollars et affaiblir le dollar.

    Cette politique est vouée à l’échec. Elle n’a pas sauvé le secteur manufacturier américain dans les années 1970 ou 1980. Alors que la rentabilité s’effondrait, les industriels américains ont délocalisé leurs lignes de production pour obtenir de meilleurs rendements dans les économies à bas coûts. Aujourd’hui, si le dollar s’affaiblit, l’inflation intérieure augmentera encore plus (comme dans les années 1970) et les fabricants américains, loin de revenir investir aux Etats-Unis, chercheront à investir ailleurs, avec ou sans droits de douane. Si le dollar perd de sa valeur face aux autres monnaies, les détenteurs de dollars comme la Chine, le Japon et l’Europe se tourneront vers d’autres monnaies.

    Cela signifie-t-il que l’ère du dollar est révolue et que nous entrons dans un monde multipolaire et « multi-devises » ? Une partie de la gauche semble le penser. Mais la place du dollar dans l’économie mondiale ne sera pas balayée d’un revers de main. Les alternatives ne semblent pas non plus très sûres, car toutes les économies tentent de maintenir leurs monnaies sous-évaluées pour rester compétitives – d’où la ruée vers l’or sur les marchés financiers.

    Les BRICS ne sont pas en mesure de remplacer le dollar, puisqu’il s’agit d’un groupe hétéroclite d’économies, aux régimes politiques très divers, qui partagent peu de points communs, si ce n’est une certaine résistance aux objectifs de l’impérialisme américain. Et contrairement à tous les discours sur l’effondrement du dollar, la réalité est que le dollar reste historiquement fort par rapport aux autres monnaies commerciales, malgré les allers retours de Trump et l’affolement qu’ils ont provoqué sur les marchés.

    Ce qui mettra fin au déficit commercial américain, ce ne sont pas les taxes sur les importations ni les contrôles sur les investissements étrangers, mais une récession. Une récession entraînerait une chute brutale des achats des consommateurs et des producteurs ainsi que des investissements, ce qui réduirait les importations. Chaque fois que l’économie américaine a connu une récession (zones grises sur le graphique ci-dessous), le déficit commercial s’est réduit ou a disparu avec la chute des importations, tandis que le dollar se renforçait.

    L’économie américaine est en chute libre, en ce deuxième trimestre 2025. Excepté les achats d’or, la Fed d’Atlanta prévoit désormais une baisse de 0,3 % du PIB réel au premier trimestre de 2025, mais avec une demande intérieure progressant encore lentement à 2 % par an. Mais ces prévisions ont été faites avant l’imposition des droits de douanes et ignorent leurs impacts sur les prix et la production. La banque d’investissement Goldman Sachs estime à 45 % les chances d’une récession aux Etats-Unis cette année, suite aux droits de douane (avec une prévision de croissance du PIB de 0,5 % pour l’année). Avant ces embardées commerciales, cette dernière prévoyait « une autre année solide » avec une croissance de 2,5 %. L’inflation américaine a reculé en mars alors que l’économie ralentissait et que les consommateurs réduisaient leurs achats. Il reste fort probable que l’inflation reparte à la hausse dans la seconde moitié de l’année tandis que l’économie sombrera davantage, non dans la stagflation mais dans la slumpflation.