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La non censure de Bayrou ne marque pas la fin de la crise politique, mais décuple celle du NFP
Les semaines de négociations ont abouti au sursis du gouvernement Bayrou : la motion de censure déposée par LFI n’a été votée que par elle-même, EELV et le groupe communiste. En dehors du « socle commun » (Ensemble, LR, Horizons, Modem et LIOT), ni le RN ni le PS n’ont choisi de censurer le gouvernement. Cette situation offre un répit à Bayrou, avant d’attaquer le dossier le plus chaud, à savoir le budget (qui fut la cause du renversement du précédent gouvernement Barnier). Si la crise politique rend invraisemblable que le gouvernement Bayrou tienne longtemps, la question de savoir quelle sera la durée de son sursis reste ouverte.
Le RN temporise et cherche à se racheter une légitimité
L’objectif du RN reste toujours le même : que Marine Le Pen remporte la présidentielle de 2027 et, d’ici là, tout faire pour rendre possible cette victoire. Si celle-ci est menacée d’inéligibilité dans le cadre du procès (dont le verdict tombera en mars) sur les soupçons d’emplois fictifs au Parlement européen, elle n’a pas la capacité de provoquer une présidentielle anticipée d’ici là. Elle doit donc composer avec cette épée de Damoclès qui pèse sur sa carrière politique. L’objectif principal reste pour le RN une nouvelle dissolution, qui n’est cependant pas possible avant l’été.
Depuis deux décennies, la cheffe du RN travaille à la « dédiabolisation » de son parti et de son programme politique, en le détachant notamment de l’identité radicale du Front National incarné par son père, Jean-Marie Le Pen (même si les hommages qui viennent de lui être rendus par sa fille comme par tout le RN montrent la réelle continuité qui les relie). La colonne vertébrale de son programme est composée de trois axes majeurs : l’affirmation d’une politique raciste centrée contre les immigré.e.s et leur descendant.e.s d’Afrique (en particulier celles et ceux de confession musulmane), la légitimation du RN auprès de la bourgeoisie (ce qui explique notamment le renoncement à la sortie de l’UE et de l’euro), la défense absolue de la logique économique libérale du travail et son corollaire, la critique virulente des organisations collectives comme les syndicats. Ces trois axes permettent de crédibiliser le parti aux yeux de la bourgeoisie, en tant qu’alternative possible à un candidat de droite.
Or le fait d’avoir voté la censure du gouvernement Barnier a écorné cette image « raisonnable », et c’est probablement une des raisons pour lesquelles Bayrou n'a pas inclus le RN dans les négociations actuelles. Il a en effet déplacé le curseur vers la gauche bourgeoise, largement renforcée grâce à l’accord électoral du NFP. De fait, le parti de Marine Le Pen s’est retrouvé cornerisé sur le plan institutionnel, renvoyé dans le filet des « extrêmes ». On est bien loin de sa centralité sous le gouvernement Barnier. Le soutien que Marine Le Pen a exprimé aux Mahorais.e.s, très durement touché.e.s par le cyclone Chido puis par la tempête Dikeledi, lui a permis de réoccuper une place de premier plan et de redorer son image. En se montrant solidaire des citoyen.ne.s français.e.s sur l’île, mais intraitable sur les immigré.e.s, elle a pu remettre son agenda politique au cœur des débats, s’appuyant sur le très droitier Ministre des Outre-Mer, Manuel Valls. Elle menace de censurer le gouvernement si celui-ci ne met pas en œuvre un plan d’urgence immédiat, mais elle n’a pas les moyens de peser réellement sur l’acheminent des aides à la reconstruction ; il s’agit donc de postures politiciennes, pour rassurer sa base sur l’île et en métropole. Si elle laisse pour le moment le gouvernement Bayrou se mettre en place, elle ne pourra cependant pas repousser indéfiniment la censure.
Que cherche au juste le PS ?
Le Parti socialiste est un parti bourgeois qui, depuis le tournant de la rigueur de 1983, a adopté le libéralisme (c’est-à-dire, entre autre, la concurrence libre et non faussée, la mondialisation capitaliste ainsi que l’Union Européenne) comme programme politique. Ressuscité grâce à la NUPES (stratégie décidée par la direction de LFI dans la précipitation, entre la présidentielle et les législative de 2022, que nous avions pour notre part critiquée comme une faute politique), puis largement renforcé dans le cadre du NFP pour empêcher la possibilité au RN de gouverner en 2024, le Parti socialiste est devenu l’acteur principal de la survie du gouvernement Bayrou. L’hypothèse d’une majorité de droite soutenue par l’extrême droite n’a pas survécu ; c’est donc naturellement que Bayrou s’est tourné vers les socialistes, dans un double objectif : s’assurer d’un accord de non censure tout en fragmentant le NFP. Le pari est réussi à ce stade, qui n’est qu’une toute première étape dans l’ascension himalayenne du Premier ministre.
La droite du PS, incarnée en partie par l’ancien président Hollande n’a eu de cesse de batailler contre la ligne d’Olivier Faure, plus ouverte, dans la séquence précédente, à un respect minimal du NFP. La stratégie « responsable » de soutien au régime en crise de la Ve République et des intérêts capitalistes est celle qui a gagné aujourd’hui. Le Bureau national du PS et la majorité des députés l’ont adopté majoritairement même si 30 député-e-s PS et apparenté-e-s sur 66 (soit une majorité des partisans de Faure dans le PS) voulaient voter la censure. En déplaçant son centre de gravité de la gauche vers la droite, le PS à réussi à devenir central, à défaut d’être aujourd’hui capable d’être un parti de gouvernement. Il faut cependant nuancer le poids du parti dans le sursis obtenu par Bayrou : même si l’ensemble des socialistes avaient voté pour la censure, celle-ci ne serait pas passée, car le RN ne l’a pas votée. Cependant, il faut prendre en compte aussi un autre élément : si la FI, EELV, GRD et le RN additionnaient leurs voix pour une censure, elle ne serait pas majoritaire non plus : il manquerait celles du PS. Celui-ci devient donc le faiseur de rois, à condition d’être capable une discipline de vote à ses députés.
Trois concessions principales ont été accordées par Bayrou pour garantir sa survie : l’abandon de la suppression de 4000 postes d’enseignant.e.s, l’abandon de l’augmentation des jours de carence dans la fonction publique (qui avait soulevé un très grand mouvement de contestation par la grève de la part des enseignant.e.s), et la réouverture des discussions pour un aménagement de la réforme des retraites. Les deux premiers points sont des petites victoires : elles permettent de mettre un frein aux assauts contre les fonctionnaires et l’Education Nationale en particulier et le PS veut ainsi montrer aux fonctionnaires, sa base historique, qu’il y reste attaché et que sa ligne pragmatique peut obtenir des résultats. Le PS sait que, malgré sa revitalisation par la NUPES depuis 2022, qui lui a malheureusement évité l’agonie, il est loin de pouvoir remporter une présidentielle ou même des législatives ; son objectif électoral est d’abord de solidifier ses bases dans les territoires, c’est-à-dire pour les municipales. En tant que parti d’élu.e.s, le PS a un besoin vital d’implantation locale. Cela vaut pour son aile gauche autant que son aile droite. La bataille parisienne va être centrale, mais toutes les autres ne sont pas pour autant négligeables. En obtenant des concessions, le PS montre à sa base qu’il possède toujours une fibre pro-services publiques – même s’il aura bien du mal à faire oublier que les politiques qu’il mène lorsqu’il gouverne les attaquent en fait.
Le PS ne peut cependant pas vraiment nous vendre la réouverture du dossier sur la réforme des retraites comme une victoire : Bayrou n’a rien cédé, si ce n’est la tenue de discussions entre les « partenaires sociaux » qui n’aboutiront à rien de substantiel. Le PS a donc préféré obtenir des victoires en périphérie, abandonnant la bataille centrale. Pour nous qui considérons ce parti comme un parti bourgeois, ce n’est pas étonnant : les politiciens bourgeois s’accommoderont toujours pour préserver les intérêts des capitalistes et du patronat. C’est être naïf de croire que le PS, parce qu’il a été élu grâce aux voix des électeurs/trices du NFP, donc parfois à contrecœur, défendrait jusqu’au bout le programme du NFP. Le PS défend d’abord son propre programme et son agenda, et il a en ce sens bien su se jouer de ses partenaires politiques. L'avenir dira s'il en sort gagnant à terme, mais dans l'immédiat il s'est remis au centre du jeu politique, ce qui est pour lui un succès certain.
Le NFP n’était qu’une alliance électorale et conjoncturelle. Si certaines composantes ont avalé des couleuvres pour sécuriser leur avenir politique, rien ne permettait de croire qu’il s’agirait de plus que cela : tout le monde savait que des lignes de fractures coexistaient en son sein (sur les questions internationales, en particulier à Gaza et sur l’Ukraine, mais aussi les questions budgétaires ou encore européennes, notamment) ; la seule question était de savoir quand celles-ci se révéleraient, et quand le point de non retour serait atteint. On voit mal comment le NFP, qui n’est déjà plus qu’une coquille vide parlementaire, pourrait survivre. Le rythme de l’agonie dépendra des miettes que Bayrou lâchera au PS lors de l’examen du budget – sachant que ses marges de manœuvre sont très étroites.
La FI mène bien la bataille parlementaire, mais il faut donner la priorité aux luttes et à la construction dans le prolétariat
La dérive droitière du PS renforce objectivement la position de réelle opposition de gauche au macronisme qu’incarne LFI. À juste titre, les député-e-s insoumis-e-s ont mené toutes les batailles parlementaires contre Barnier et contre Bayrou, tout en montrant qu’un budget plus favorable aux intérêts des travailleur/se-s pouvait être élaboré. De plus, la campagne pour la démission de Macron entre en résonnance avec l’aspiration d’une majorité de travailleur/se-s, qui n’ont pas davantage d’illusions sur Bayrou. Enfin, il est juste que LFI commence à élaborer son programme et sa stratégie pour les municipales de l’an prochain : ce peut être une occasion de s’implanter localement et de l’emporter face au PS, qui viole déjà l’accord du NFP. Dans cette perspective, des accords avec les Verts, le PC ou des dissidents du PS (comme avec les 8 députés qui ont voté la censure) peuvent même être légitimes localement.
Cependant, les batailles parlementaires et électorales ne peuvent pas suffire pour changer les choses. Seules des mobilisations de masse, jusqu’à la grève générale, pourraient faire tomber Macron et, surtout, nous permettre d’arracher de vraies victoires sociales. Pour infliger des dommages significatifs à nos adversaires, gagner des acquis et faire face à l’extrême droite qui imprègne l’ensemble du corps social, nous avons besoin d’organisations de combat. Il est donc crucial que LFI, en tant qu’organisation, cesse de se concentrer principalement sur les batailles parlementaires et électorales, même si elle les fait bien. Il est nécessaire de donner la priorité aux luttes en leur apportant systématiquement du soutien (comme c’est déjà fait dans un certain nombre de cas), mais aussi en mettant en avant une orientation de convergence, d’auto-organisation et de front uni des organisations syndicales et politiques.
Or la critique que LFI fait des directions syndicales reste timide. Il faut mettre au cœur des discussions la question de leur stratégie, qui ne permet presque jamais d’obtenir des victoires sociales (par exemple contre les licenciements), mais qui a mené au contraire à la défaite en 2023 comme lors de presque tous les grands mouvements sociaux des dernières décennies. Quand il y a des mobilisations, les directions syndicales doivent rompre avec la stratégie des « journées d’action » catégorielles et sans lendemain, comme celle qui a eu lieu le 5 décembre dans la Fonction publique, déconnectée de la mobilisation des cheminots, pourtant prévue pour la semaine suivante, ou des luttes contre les licenciements (Voir nos articles d’alors : https://tendanceclaire.org/article.php?id=1974 et https://tendanceclaire.org/article.php?id=1976). De façon générale, les directions syndicales doivent rompre avec le « dialogue social », qui n’est rien d’autre qu’une manière de faire valider les contre-réformes par les organisations censées représenter les travailleur/se-s. C’est exactement à cela que doivent servir les négociations sur les retraites imposées par Bayrou aux « partenaires sociaux ». Il est crucial que les organisations syndicales les boycottent. Sophie Binet a certes déclaré que la première réunion qui s’est tenue ce vendredi 17 janvier a permis de mettre en lumière « l’ampleur des désaccords ». Mais alors, pourquoi participer à cette mascarade pendant trois mois ? Tout le monde sait que cette contre-réforme, très largement détestée et combattue, ne peut pas être aménagée : elle doit être abrogée. La stratégie des directions syndicales, qui viennent légitimer un gouvernement illégitime en participant aux négociations sur la contre-réforme des retraites, doit être combattue fermement, de façon publique comme à l’intérieur des syndicats. Dans nos syndicats, à tous les niveaux, il faut prendre position pour que les directions refusent de participer à l’opération de Bayrou cautionnée par le PS. Mais, pour cela, il faut être membres des syndicats, organiser la discussion démocratique en convoquant les instances et des AG et mener la bataille de façon patiente et déterminée. LFI devrait donc appeler ses membres à rejoindre les syndicats et y impulser cette orientation.
Plus généralement, LFI ne pourra gagner en influence dans le prolétariat et les catégories populaires qu’en contribuant à l’organisation des travailleur/se-s, donc en s’implantant dans les entreprises et en y faisant de la politique. C’est également de cette façon qu’elle pourra arracher les travailleurs/se-s blanc-he-s à l’influence du RN. Il s’agit certes d’une lutte de longue haleine, mais il faut la mener dès maintenant si l’on veut qu’elle porte ses fruits. Cela peut d’ailleurs commencer à être efficace dès qu’une lutte ouvrière a lieu, comme cela arrive plus souvent depuis l’automne à cause des plans de licenciements (Voir notamment le recensement des grèves par nos camarades du Courant de Lutte Transsyndical Interprofessionnel/Ne tournons pas la page : https://blogs.mediapart.fr/courant-de-lutte-transsyndical-et-interprofessionnel/blog) .
Les marxistes de LFI doivent donc convaincre les autres camarades que la classe ouvrière est centrale dans les rapports sociaux et donc aussi dans les rapports de forces politiques. Tout cela, comme les autres questions, doit être discuté dans l’organisation, ce qui requiert non de simples consultations des militant-e-s, mais une véritable démocratie, une élaboration collective, des confrontations, des votes et l’élection des dirigeant-e-s.