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    Décembre 1944, 80 ans après l’insurrection d’Athènes

    Grèce histoire

    Lien publiée le 15 décembre 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Décembre 1944, 80 ans après l'insurrection d'Athènes

    L’Histoire se raconte souvent par euphémismes et tromperies sur les termes. Dekemvrianá, ou « événements de décembre » : c’est ainsi qu’est appelée l’insurrection communiste du petit peuple d’Athènes et de la résistance communiste grecque, il y a tout juste 80 ans.

    Décembre 1944, 80 ans après l'insurrection d'Athènes

    En octobre 1944, alors que les troupes allemandes d’occupation quittent précipitamment la Grèce, Churchill rencontre Staline à Moscou. Durant dix jours, du 9 au 19 octobre, les deux chefs d’État vont discuter du partage des Balkans « en quelques coups de crayon [1] ». L’expression est de Joëlle Fontaine, autrice de l’excellent ouvrage, publié il y a un peu plus de dix ans aux éditions La Fabrique, De la résistance à la guerre civile en Grèce, 1941-1946. La Grèce, au cœur des discussions, est censée revenir à l’aire d’influence britannique, et ce malgré le poids décisif de la résistance communiste dans le pays.

    Depuis 1941, en effet, le KKE (Parti communiste grec) a mis en place un mouvement de résistance parmi les plus importants d’Europe. L’ELAS-EAM (Front de libération nationale grec – Armée populaire de libération nationale) regroupe l’ensemble des forces de la gauche grecque, jusqu’aux républicains, opposés aux monarchistes qui ont soutenu la dictature de Metaxás entre 1936 et 1941. L’ELAS-EAM est ainsi la principale force qui participe, de l’intérieur, à la Libération du pays contre les troupes du Troisième Reich et ses agents locaux. En octobre 1944, la Résistance grecque, largement dominée par les communistes, regroupe ainsi plus de 50 000 combattants.

    « La relève de la garde ». De l’occupation allemande à l’occupation britannique

    Le 28 août 1944, après un an d’élaboration, Winston Churchill valide et met en place le plan « Mana ». L’objectif est d’installer en Grèce un gouvernement « légitime », aux ordres de Londres. Autrement dit, rétablir le roi Georges II et la monarchie. Les premières directives sont envoyées à l’état-major anglais début août : « Il se peut, dit Churchill dans ses "Mémoires", que d’ici un mois environ nous ayons à faire entrer à Athènes 10 000 à 12 000 hommes, avec quelques chars, des canons et des voitures blindées [2] ».

    A la tête du gouvernement grec en exil, à Londres, se trouve Georgios Papandréou, membre du parti libéral, aux positions très anti-communistes. Churchill décide d’en faire le futur premier ministre d’un gouvernement provisoire. Malgré cette coopération, Churchill n’informe pas Papandréou de l’opération militaire qu’il compte mener en Grèce lors du retrait des troupes allemandes. Ce retrait est d’ailleurs facilité par les Britanniques qui, malgré leur domination sur la Méditerranée, n’entravent pas le va-et-vient des navires allemands transportant troupes et armes. Joelle Fontaine ainsi explique qu’il est « clair que l’objectif de Churchill n’est pas, en cet automne 1944, de combattre les Allemands mais de transformer la libération en une simple "relève de la garde" [3] ».

    Lors de la Libération, en octobre 1944, de nombreux pourparlers sont mis en place entre l’ELAS et le gouvernement provisoire. Dans un premier temps, comme ailleurs en Europe par la suite, en raison de la position adoptée par Staline, position de front national avec la bourgeoisie « démocratique », comme en Italie ou en France, les communistes grecs intègrent le gouvernement d’union nationale où ils obtiennent des postes de ministres. Dans un premier temps, les Britanniques et les monarchistes ont pu penser que les partisans grecs auraient voulu prendre le pouvoir, qui était à portée de main. Mais c’était mal connaître la capacité de mise au pas et de persuasion de Staline. La direction communiste entretient par ailleurs l’illusion selon laquelle Papandréou va réellement respecter sa promesse de mise en place d’élections libres et de respect de la volonté populaire. Des élections qui ne pouvaient qu’être favorables à la résistance et au KKE. En octobre, « alors que les ministres du gouvernement d’Union nationale arrivent précipitamment à Athènes, l’EAM a déjà assis sa propre domination [4] ». Sans tenir fermement la capitale, l’ELAS-EAM contrôle environ 80% du territoire national.

    Méfiant, Londres ordonne la poursuite du déploiement des troupes en Grèce. A la fin du mois d’octobre, les soldats britanniques sont déjà 20 000, accompagnés de « cinq escadres d’avions et du bataillon sacré grec [5] ».

    En novembre 1944, les ministres de gauche du gouvernement provisoire font parvenir à Papandréou un nouveau plan censé présider à la réconciliation nationale. Les principales requêtes portent néanmoins sur l’épuration de la gendarmerie et de la police, la tenue d’élection pour « la remise en marche de l’Etat » et surtout « l’organisation rapide d’un référendum sur la question du régime politique [6] ». Cette décision est immédiatement rejetée par Papandréou qui refuse de mettre dans la balance la question de la monarchie. La situation se tend de plus en plus entre les différents acteurs du jeu politique et militaire grec.

    Dekemvrianá

    Fin novembre, les Britanniques ont déjà regroupé en Grèce 30 000 soldats, mais encore très peu sont stationnés à Athènes. Il faudra attendre début décembre pour que Churchill finisse d’amasser ses troupes dans la capitale. Tanks, avions et artillerie sont acheminés depuis le Sud de l’Italie. En face, l’ELAS dispose de 50 000 soldats mais uniquement deux brigades et un régiment sont stationnés dans la capitale. Comme le souligne Joelle Fontaine, « si l’enthousiasme et le courage ne leur font pas défaut, ils sont plus habitués à des coups de mains en petits groupes qu’à un combat collectif et discipliné sur la base d’une véritable tactique. Et ils n’ont pour toutes armes, à part quelques mitrailleuses et un peu d’artillerie légère, que des fusils, des grenades à main et du bricolage [7] ».

    Face à l’intransigeance de Papandréou, l’ELAS-EAM organise une manifestation non armée d’opposition au gouvernement. Malgré l’interdiction de la mobilisation décrétée par le gouvernement, en dépit de tiraillements au sein de la direction communiste qui suit les directives de coexistence pacifique avec les libéraux, les chefs partisans décident de maintenir la manifestation. Le dimanche 3 décembre, une foule immense rejoint la place Syntagma. Les Athéniens arrivent depuis tous les quartiers de la ville. L’ordre a été communiqué de donner des gages et d’arborer des pancartes et des drapeaux en l’honneur des pays alliés. En amont, néanmoins, la police et l’armée britannique se sont positionnées dans les bâtiments officiels qui entourent la place. Et alors que la foule arrive près de la tombe du soldat inconnu afin d’y déposer une gerbe, aux cris de « Papandréou, démission ! » et « Mort aux collabos ! », la police ouvre le feu.

    21 morts et 140 blessés. C’est le terrible bilan de cette fusillade qui marque le début de la guerre civile grecque qui ne prendra fin qu’avec la défaite des derniers partisans aux ordres de Márkos Vafiádis, en 1949. Le poète Titos Patrikios témoigne du massacre inaugural du 3 décembre 1944 : « Je revois encore les choses avec netteté, je n’ai pas oublié. La police d’Athènes qui tire sur la foule depuis le toit du Parlement sur la place Syntagma. Des jeunes hommes et des jeunes femmes gisant dans des mares de sang, tout le monde se mettant à dévaler les marches, sous le choc, en proie à la panique ». De l’autre côté, un soldat anglais explique : « Le détachement de policiers qui était au-dessus de moi tira en plein dans les manifestants. […] Des hommes, des femmes, des enfants, qui peu de temps auparavant criaient, pleins de vie, qui marchaient d’un pas décidé, qui riaient en faisant flotter leurs drapeaux et les nôtres, gisaient maintenant sur le sol [8]. ».

    A 40 kilomètres d’Athènes, au pied du Parnès, Siantos, cadre du KKE et principal fondateur de l’EAM, prend connaissance de l’évènement. Il décide de lancer une opération militaire de la résistance qui vise à désarmer les forces de l’ordre et de mobiliser les masses dans de grandes manifestations et des grèves afin de bloquer les mouvements de troupes.

    Le 4 décembre, la grève se généralise. L’ensemble des « magasins, usines, banques, services publics, ministères sont fermés, et même le personnel de l’hôtel Grande-Bretagne, siège principal des autorités grecques et anglaises, des diplomates et de la presse étrangères, a cessé le travail [9] ». Au lendemain du « Dimanche sanglant » Athènes est une ville paralysée et connaît une des manifestations les plus importantes de son histoire : le cortège, protégé cette fois-ci par les élassitès, les partisans armés, se dirige vers la place Syntagma alors défendue par des chars britanniques. C’est alors qu’entre en scène l’Organisation X, dirigée par le colonel Grivas, qui ordonne de tirer dans la foule. Le bilan est de 100 morts. Les élastissès et les Athéniens ne retiennent plus leur colère et les répercussions sont immédiates. Les chars britanniques s’interposent pour protéger les chitès, les paramilitaires d’extrême droite mais, le 4 au soir, l’ELAS contrôle le port du Pirée et la majorité des quartiers de la capitale.

    La reprise en main par Churchill, le silence de Staline

    A la suite de ces premiers affrontements, Papandréou pose officiellement sa démission. Churchill refuse et envoie un télégramme à son ambassadeur, très éloquent sur le caractère réactionnaire et impérialiste de l’entreprise britannique en Grèce : « Mettez Papandréou en demeure de remplir son devoir, câble-t-il, et assurez-le que toutes nos forces l’appuieront s’il le fait. S’il démissionne, emprisonnez-le jusqu’à ce qu’il se remette quand les combats seront finis. […] Les jours sont depuis longtemps révolus où un groupe d’hommes grecs, quel qu’il soit, aurait pu exercer une influence sur cette révolte de la populace. […] J’ai remis aux mains du général Scobie toute la responsabilité de la défense d’Athènes, du maintien de l’ordre et de la loi ; je l’ai assuré qu’il serait soutenu s’il recourt à l’emploi de n’importe quelle force jugée nécessaire [10] ».

    Au cours des jours suivants, l’ELAS parvient à maintenir son contrôle de la ville, au point où le général Scobie qui dirige les forces d’occupation britanniques envisage d’évacuer la capitale par la mer.

    La situation pour l’ELAS se complique, néanmoins, au cours de l’hiver 1944. Churchill décide de remplacer Scobie par le général Hawkesworth, partisan des manières fortes, et il autorise les bombardements des quartiers populaires d’Athènes. Fin décembre, ce sont plus de 75 000 hommes que les Britanniques massent en Grèce. Les résistants communistes sont isolés et ne peuvent compter sur l’appui de l’URSS, ni des partisans de Tito, en Yougoslavie, qui vient de prendre le pouvoir. « Le chef de la mission militaire britannique […] multiplie les avertissements quant au retour éventuel en Grèce des partisans macédoniens [11] » et le chef des partisans yougoslaves ne veut pas provoquer Churchill et Staline. Ce dernier s’est mis d’accord avec le Premier-ministre britannique pour déterminer les sphères d’influence respectives de Moscou et de Londres dans les Balkans. Qui plus est, « Staline, informé du débarquement de troupes anglaises en Grèce n’y aurait fait aucune objection et aurait même ajouté qu’il était temps de réaliser enfin ce plan, dont il était au courant. C’est donc dès la mi-septembre que Staline laisse Churchill intervenir en Grèce [12] ».

    Les 15 et 16 décembre, les offensives lancées par les Britanniques permettent aux paramilitaires de la droite et de l’extrême-droite grecques de reprendre le contrôle d’une grande partie de la capitale. Esseulée, désorientée, l’ELAS-EAM envoie à son Premier corps d’armée un ordre de retrait à 15 kilomètres au nord d’Athènes le 4-5 janvier 1945. Les partisans ont perdu entre 2 et 3 000 des leurs et ils se trouvent « dans un état de fatigue indescriptible et ont épuisé tout leur armement [13] ». L’armistice est signé le 11 janvier et sera suivi par les Accords de Varkiza, un mois après. Mais les troupes de l’ELAS acceptent de rendre les armes et de se retirer des régions du Péloponnèse et de Salonique et les communistes se retrouvent face à « une atmosphère de terreur blanche déjà bien affirmée [14] ». C’est cette dynamique contre-révolutionnaire qui va d’ailleurs primer, jusqu’en 1946, au moment où va rééclater la guerre civile, les communistes contrôlant alors, depuis « la Montagne », plusieurs régions du Nord du pays, à la frontière de la Bulgarie, Yougoslavie et Albanie.

    La Libération trahie

    En 1944, donc, les Britanniques, en alliance avec l’URSS de Staline, sont prêts à tout pour rétablir la « paix et la stabilité » dans le pays et empêcher que la résistance communiste contrevienne aux ordres soviétiques. La dynamique populaire, d’un côté, l’intransigeance des monarchistes et de la droite, de l’autre, vont faire exploser cette situation qui débouche sur « les événements » de décembre 1944 à Athènes. Un épisode héroïque marquant combien les Alliés étaient bien déterminer à éviter que la défaite du Troisième Reich et la Libération ne débouche sur une révolution, pourtant à l’ordre du jour. Une leçon qui vaut pour le Sud de l’Europe, qui se libère au même moment, mais également pour la France où Macron a multiplié, au cours des derniers mois, hommages et commémorations pour faire maquiller sous le vernis de l’union nationale et du gaullisme ce qui se jouait réellement, à la fin de la guerre.

    Les mouvements de résistance qui ont émergé en Europe occupée ont essayé d’imaginer un nouveau possible, allant parfois, outrepasser les consignes soviétiques. Dans un éditorial du journal Combat en date du 29 novembre 1944 et intitulé « A peine libre, l’Europe remue », il est écrit : « On assiste, par personnes interposées, à un conflit latent entre la Résistance européenne et les armées de la libération. Cela peut sembler terrible à écrire, mais cela est […] Or c’est tout de suite qu’il faut manger et c’est tout de suite que le monde doit être juste. Pour la France comme pour l’Europe, le drame est d’avoir à mener en même temps une guerre et une révolution [15] ». Les Alliés et leurs agents mèneront donc, pendant la fin de la guerre, une autre guerre, contre la révolution, celle-là. Le soulèvement de décembre 1944 à Athènes et son dénouement provisoire en sont le témoignage.

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    NOTES DE BAS DE PAGE


    [1] Joelle Fontaine, De la résistance à la guerre civile en Grèce, 1941-1946, Paris, La Fabrique, 2012, p. 181.


    [2] Cité dans Joelle Fontaine, De la résistance à la guerre civile (…), op. cit., p. 153.


    [3Ibid., p. 157


    [4] Dimitri Kousouris, L’histoire des procès des collaborateurs en Grèce (1944-1949), Paris, Presses de l’Inalco, 2017


    [5] Joelle Fontaine, De la résistance à la guerre civile (…), op. cit., p. 189. Le bataillon sacré est une unité des forces spéciales grecques. Fondé en 1942, il participe à de nombreuses batailles aux côtés des forces Alliés durant la Seconde Guerre mondiale. En décembre 1944, aux côtés des Britanniques, du gouvernement grec et de l’extrême-droite, il participe aux affrontements contre les communistes et le peuple grec. Il est nommé en référence au Bataillon sacré de Thèbes, corps d’élite de l’armée thébaine au IVe siècle avant J.-C.


    [6Ibid., p. 218.


    [7Ibid. p. 229.


    [8Ibid. p. 232.


    [9Ibid. p. 239.


    [10] Cité dans Joelle Fontaine, De la résistance à la guerre civile (…), op. cit., p. 245.


    [11Ibid. p.282


    [12Ibid., p.156-157.


    [13Ibid., p. 306


    [14Ibid., p. 320


    [15] Cité dans Joelle Fontaine, De la résistance, op. cit, p. 249