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    "Nos vies valent plus que leurs profits ! #Poutou2022" : Ceci n’est pas un programme communiste révolutionnaire

    À peu près en même temps que Jean-Luc Mélenchon et qu’Anasse Kazib ont chacun publié la version définitive de leur programme, le NPA a lui aussi sorti, sous le titre « Nos vies valent plus que leurs profits ! #Poutou2022 », un 4 pages présentant le programme porté par Philippe Poutou pour les élections présidentielles 2022. Le document se présente actuellement comme un catalogue  d'une vingtaine de mesures relativement disparates (de la création d’un monopole public bancaire à la suppression des BAC, par exemple). Nous ne savons pas à l'heure actuelle s'il est destiné à être développé de façon plus approfondie. Bien sûr, la substance politique d’un programme ne se mesure pas au poids : il est néanmoins à attendre d'un parti qui se présente aux élections dans le seul but de faire entendre un projet révolutionnaire qu'il accorde davantage d’attention au développement du projet en question. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à la lecture de ce programme, les masses n’auront pas la moindre idée de ce à quoi pourrait ressembler une société communiste, son mode d’organisation, ses institutions, etc., ni non plus d’idée concernant les moyens d’y parvenir – en d’autres termes, comment imposer aux capitalistes et à l’État le changement radical des rapports sociaux qui ne nous est de toute façon pas décrit ici.

    Avant de regarder rapidement les différents axes programmatiques définis dans ce document, prenons un peu de recul et demandons-nous à quoi ressemblerait, dans l’ensemble, la société organisée autour des mesures proposées dans ce programme (sans se poser encore la question pourtant décisive des moyens qui rendent possibles ou non la réalisation de ces mesures). Nous aurions là une société où les travailleurs/ses auraient des conditions de travail moins indécentes (salaires un peu plus élevés, temps de travail un peu réduit, etc.), où les services publics seraient étendus à certains nouveaux secteurs bien spécifiques (l’énergie, le médicament, le secteur bancaire) et où la gratuité progresserait, où les lois sécuritaires et racistes seraient abolies et la police désarmée, où les immigré.e.s bénéficieraient de nouveaux droits importants (liberté de circulation et d’installation) ainsi que les femmes et personnes LGBTI (création de centres IVG, de maternités et de refuges, remboursement et facilitation administrative des transitions, etc.). Rien de tout cela n’est négligeable, et il est clair que, si ces mesures étaient effectivement prises, les travailleurs/ses y seraient nettement gagnant.e.s ; mais force est également de constater que rien de tout cela ne définit une société communiste ni ne remet fondamentalement en cause la structure profonde des rapports de production actuels. C’est, au sens strict du terme, un programme réformiste, assurément avantageux pour les travailleurs/ses, radical sur certains aspects (et à vrai dire assez peu sur d’autres), et non un programme révolutionnaire. Quelle que soit la façon dont subjectivement se définissent Philippe Poutou et les militant.e.s qui soutiennent sa candidature, le programme ici proposé n’est objectivement pas un programme communiste révolutionnaire : c’est un programme en vue d’une société où la redistribution des richesses est plus avancée qu’elle ne l’est actuellement et où les services publics sont étendus.

    Les différentes mesures proposées s’articulent autour de quatre axes, respectivement intitulés « Une vie, un emploi et un salaire décents, c’est possible ! », « Répondre à l’urgence sociale et écologique ! », « En finir avec un régime autoritaire raciste et inégalitaire » et « Pour en finir avec l’Europe des barbelés et des patrons, un programme internationaliste ! ». Ces axes sont précédés et suivis par des encadrés plus généraux sur la conjoncture politique actuelle et le sens de la campagne Poutou, ainsi qu’un encadré dont il y avait beaucoup à espérer (on sera hélas très déçu.e.s…) intitulé « Comment rompre avec le capitalisme ? ». Regardons de plus près ces différents développements.

    L’introduction : « #Poutou2022 »

    La première page du document présente de façon générale l’esprit de la campagne Poutou 2022. Il nous est d’abord rappelé (section « 5 ans de Macron, ça suffit ! ») toutes les agressions subies par les travailleurs/ses sous le mandat de Macron et la nécessité d’y mettre fin. On partage bien sûr ce constat. En même temps, d’un point de vue tactique, on ne peut pas faire semblant de croire que faire campagne pour Philippe Poutou soit réellement un moyen efficace de mettre fin à ces agressions. Une candidature que l’on sait à l’avance aussi minoritaire que celle du NPA peut bien sûr être légitime, en particulier s’il s’agit de diffuser à grande échelle un programme révolutionnaire et de mettre sur la table un véritable projet de société communiste : mais si l’enjeu est vraiment de mettre fin aux agressions de Macron, il est indéniable que, tactiquement, il est plus pertinent d’essayer de faire gagner le seul candidat réformiste et progressiste qui a une petite chance de se qualifier au second tour – en l’occurrence J.-L. Mélenchon, quand bien même il propose un programme moins radical sur certains aspects (ce qui n’est même pas vraiment le cas sur d’autres…). Si on analyse concrètement la situation, la campagne Poutou est évidemment incapable de vaincre Macron – tout le monde le sait bien, même les militant.e.s qui la soutiennent).

    Il est dans cette perspective un peu curieux de lire que, contre Macron, le seul choix possible outre Le Pen ou Zemmour, ce serait la candidature de Philippe Poutou. Il est clair que, quoi qu’on pense par ailleurs des insuffisances du programme réformiste de Mélenchon, il représente bien un choix possible, et de fait plus crédible, pour éviter le duel entre Le Pen/Zemmour et Macron. On peut bien sûr considérer qu’éviter un tel duel n’est pas l’enjeu principal pour les révolutionnaires lors de cette campagne : mais si on se place dans la perspective d’éviter le duel en question (comme le fait le NPA dans cette section), alors « l’autre choix », c’est bien sûr Mélenchon davantage que Poutou.

    En définitive, toute cette première page générale sur le sens de la campagne Poutou donne une impression d’abstraction presque naïve : on est censé faire semblant de croire que la campagne de Poutou est la réponse crédible pour en finir avec les agressions libérales de Macron et vaincre l’extrême droite, alors que tout le monde sait que, dans les faits, c’est complètement irréaliste. En vérité, la campagne Poutou, pour être vraiment utile, devrait servir d’autres enjeux : faire connaître la spécificité d’un programme révolutionnaire et populariser le projet d’une société communiste, fondée sur une transformation radicale des rapports de production et rendue possible par une stratégie de prise de pouvoir des travailleurs/ses. Or, ce n’est de fait pas non plus un tel programme que diffuse le NPA à l’occasion de ces élections : le programme examiné ici ne met jamais en avant un authentique projet de société communiste qualitativement différent du projet réformiste de Mélenchon – quand bien même, encore une fois, les propositions du NPA sont effectivement plus progressistes sur un certain nombre de points. Le NPA se contente en réalité, mais sans le dire, d’essayer de faire apparaître des thèmes dans les débats des présidentielles, thèmes par ailleurs déjà portés par les réformistes, Lutte Ouvrière ou Révolution Permanente.

    Le 1er axe : « Une vie, un emploi et un salaire décents, c’est possible ! »

    Le premier volet du programme consiste à exiger une amélioration générale des conditions de travail : augmentation des salaires et en particulier du SMIC, réduction du temps de travail à 32h (« en commençant par 32h », précise le programme, sans qu’on en sache davantage sur ce qui est censé suivre), revenu d’autonomie pour les jeunes, retraite à 60 ans, création de postes dans les services publics. Ces mesures sont progressistes, mais aucune ne tranche fondamentalement en tant que telle avec un programme réformiste : Mélenchon propose aussi l’augmentation du SMIC (1 400€ contre 1 800€ pour le NPA), la diminution du temps de travail (d’abord l’application réelle des 35h, puis aller vers les 32h sur quatre jours, là où le NPA « commence » par les 32h), le revenu d’autonomie pour les jeunes (1 000 € chez Mélenchon, aucun montant précisé chez Poutou), la retraite à 60 ans et la création d’emplois publics. Aucune différence qualitative ici : il s’agit juste d’être un degré plus généreux que les mesures de Mélenchon.

    Du reste, le programme de Poutou partage manifestement les illusions réformistes du candidat de l’Union Populaire : il n’y a aucune considération des marges de manœuvres réduites pour l’application de telles mesures sociales, et la question des moyens – en particulier de la prise par les travailleurs/ses du pouvoir économique (expropriation des capitalistes) et étatique (renversement des institutions existantes et mise en place de nouvelles institutions communistes) – n’est absolument pas abordée. On trouvera au mieux quelques formulations vagues appelant à « tout changer, du sol au plafond » et à s’appuyer sur les mobilisations et les luttes, mais quand il s’agit de décrire précisément ce que l’on changera et comment, aucun de ces points n’est ne serait-ce qu’effleuré. Au contraire, ces quelques formules qui relèvent davantage du folklore militant que d’une l’élaboration programmatique concrète sont noyées par des affirmations trompeuses sur le « pognon de dingue » qui serait disponible, les « profits faramineux » et la manne des « dividendes », comme s’il y avait actuellement des marges de manœuvre évidentes, dans le cadre du système, permettant de mettre en place cette redistribution en faveur du monde du travail : c’est précisément là la racine des illusions réformistes, dont le NPA ne s’est manifestement pas départi.

    Un véritable programme de transition communiste doit partir de ces quelques mesures d’urgence sociale pour les articuler à un projet de refonder la société dans son ensemble, en instituant d’autres rapports sociaux que ceux de la propriété privée et en prévoyant les mesures nécessaires pour que les travailleurs/ses défendent leur pouvoir.

    L’axe 2 : « Répondre à l’urgence sociale et écologique »

    C’est la section suivante qui donne précisément l’image la plus aboutie des rapports de production sur lesquels s’organiserait le projet de société défendu dans le programme #Poutou2022. On nous parle d’abord de planification écologique et démocratique : mais cela ne fait pas encore un programme tant qu’on ne précise pas ce qu’on planifie, comment, et dans le cadre de quelles institutions. Mélenchon aussi parle de planification écologique, mais il précise en détail les principes de cette planification et les institutions via lesquelles elle aura lieu. Bien sûr, ces institutions ne sont pas communistes ; mais dans le programme du NPA non plus, rien ne prévoit l’instauration d’institutions communistes.

    Le changement des rapports de production décrit ici se résume à l’extension des services publics dans un périmètre bien précisé, à savoir les secteurs de l’énergie, du médicament et de la banque (« Création de services publics de l’énergie (nationalisation d’EDF, Engie, Veolia, Total…) et du médicament (réquisition de Sanofi et des grosses industries du secteur) ; réquisition des banques privées dans un monopole public bancaire. » (p. 2)). Il ne s’agit à aucun moment de réorganiser l’ensemble de la production sur des rapports indépendants de la propriété privée, par exemple via l’instauration d’un monopole public de l’investissement sous contrôle des travailleurs/ses dans le cadre de « caisses d’investissement » et via l’institution d’un salaire à vie permettant à tout producteur ou productrice de s’affranchir du marché pour assurer les moyens de sa subsistance. On a beau lire cette section avec la meilleure volonté : l’organisation de la production décrite ici n’a aucun trait qui caractérise une économie communiste, ni même une économie de transition vers le communisme.

    L’extension de la gratuité au sein des services publics essentiels ( « Gratuité pour les besoins essentiels: se loger, se déplacer, se nourrir, se chauffer, se soigner, étudier… » (p. 2)) ne remet pas davantage en cause l’ensemble des rapports de production capitalistes et relève seulement d’un certain rééquilibrage dans la distribution des richesses entre capital et travail. De plus, encore une fois, la forme institutionnelle concrète que prendraient de telles mesures n’est jamais décrite : par exemple, un programme parlant de gratuité pour le logement devrait préciser l’organisation d’un tel service public et gratuit du logement, et la façon dont il serait constitué en face des promoteurs immobiliers. Cela impliquerait de parler explicitement d’expropriation, ce que ce programme prétendument révolutionnaire réussit l’exploit de ne jamais faire ! Il ne s’agit pas là d’un fétichisme du mot : de fait, l’idée de la prise du pouvoir économique par les travailleurs/ses via l’expropriation de tous les capitalistes et la création d’institutions collectivisées de production est absente – et pour cause, il s’agirait là d’une société bien différente de celle explicitement décrite dans ce programme. Ce n’est pas le mot qui manque, mais la chose.

    Il faudrait donc sonder les cœurs des militant.e.s pour savoir si c’est vraiment un projet de société communiste, avec les institutions qui la caractérisent, qu’ils et elles défendent en dernière instance : en tout cas, ce n’est pas ce que défend le programme qu’ils et elles présentent à l’occasion de cette campagne.

    L’axe 3 : « En finir avec un régime autoritaire, raciste et inégalitaire »

    La troisième partie du programme contient des mesures justes, mais qui relèvent encore une fois d’une logique réformiste flagrante.

    Il y est d’abord question de l’État raciste et autoritaire. Or, il ne s’agit pas de décrire ici ce que pourrait être une démocratie ouvrière, mais de décliner un ensemble de réformes partielles pour rendre l’État un peu moins nuisible. L’État bourgeois lui-même n’est pas en cause, mais seulement ses lois sécuritaires et racistes qu’il s’agirait d’abolir, ainsi que ses corps de répression qu’il s’agirait de réformer (suppression des BAC, BRAV, etc. ; désarmement de la police). Il devient ici évident qu’il ne s’agit pas d’opposer à la société actuelle un autre projet de société communiste, mais de défendre simplement une série de mesures défensives contre les dérives qui excèdent le cadre de l’État de droit. Dans ces différentes mesures, au demeurant légitimes, c’est finalement un État de droit bourgeois idéal qui est pris ici pour cadre de référence, et non la société communiste.

    Qui plus est, même dans la logique réformiste qui marque de façon manifeste cette section du programme, on est frappé par l’indigence du contenu proposé : pas un mot sur la justice, évocation purement abstraite du racisme (aucune mesure concrète n’est précisée), et seulement deux mesures-slogans sur la police dont on voit bien qu’elles ne peuvent pas conduire à une transformation substantielle de cette corporation – et moins encore à sa suppression et au transfert de ses fonctions utiles à la population auto-organisée. Le programme de Mélenchon apparaît sur ces points bien plus sérieux, tout en partageant les limites réformistes qui caractérisent ce genre de mesures (nous y reviendrons prochainement dans notre critique du programme de Mélenchon).

    Le deuxième point à l’honneur dans cette section, ce sont les questions féministes : création de centres IVG, de maternités et de refuges pour accueillir les femmes et personnes LGBTI victimes de violences ; augmentation des moyens dans la lutte contre les violences ; égalité des salaires entre les femmes et les hommes ; extension de la PMA à tou.te.s (qui a pourtant déjà été décidée par le gouvernement et le Parlement : loi du 2 août 2021 et décret du 28 septembre 2021) ; remboursement des parcours de transition et facilitation du changement d’état civil. Toutes ces mesures sont justes, et il est important de les défendre, mais il n’y a encore rien là qui témoigne d’une candidature en rupture avec les candidatures réformistes (de fait, des mesures parfaitement équivalentes sont comprises dans le programme de Mélenchon, qui est même plus complet sur ces questions). Les questions féministes sont encore une fois abordées sous l’angle d’une série de réformes importantes, mais non d’une remise en cause radicale des rapports sociaux qui structurent la société capitaliste patriarcale. Et une nouvelle fois, ces mesures forment plus une série d’exemples disparates qu’un programme complet et ambitieux sur les questions féministes : même dans une perspective réformiste, un programme féministe se doit d’être beaucoup plus conséquent !

    Le dernier point concerne les droits des immigré.e.s et des étranger.e.s : liberté de circulation et d’installation, régularisation de tou.te.s les sans-papiers, droit de vote pour les étranger.e.s vivant en France. C’est sur ce point, sans aucun doute, que la candidature Poutou se distingue le plus nettement, et de façon salutaire, de la candidature réformiste portée par Mélenchon. À l’heure où l’extrême droite domine le débat, il est important de ne rien céder et de tenir fermement le mot d’ordre de la liberté de circulation et d’installation. Le réformisme de Mélenchon s’avère incapable de défendre une telle position. Néanmoins, pour convaincre, il faudrait être capable d’expliquer en quoi ces revendications exigent de sortir du capitalisme, ce qui explique qu’un candidat réformiste ne peut pas reprendre cette revendication. Un gouvernement des travailleurs/ses en transition vers le communisme pourrait se donner les moyens, via la planification de l’organisation du travail, de donner à chacun.e une place dans la division du travail : or, cela suppose d’arracher le pouvoir économique aux mains des capitalistes pour réorganiser la production selon d’autres critères que le profit individuel. C’est l’absurdité du mode de production capitaliste qui condamne une partie des forces de travail à être éjectée du monde du travail et qui exacerbe la concurrence entre les travailleurs/ses.

    L’axe 4 : « Contre l’Europe des barbelés et des patrons, un programme internationaliste ! »

    Enfin, comme on pouvait s’y attendre, le NPA se complaît dans une position internationaliste abstraite sur la question de l’Union européenne. On nous parle d’une « rupture avec les traités européens » (comme la France insoumise) sans nous en préciser les modalités, et sans surtout assumer qu’il s’agira bien de sortir de l’Union européenne et de l’euro pour mettre en place une politique communiste que l’UE refuserait et empêcherait évidemment. Un gouvernement des travailleurs/ses, s’il veut se donner les moyens d’appliquer sa politique et de transformer la société, n’aura d’autre choix que de rompre immédiatement avec l’UE et de se protéger des offensives des institutions capitalistes immédiatement lancées à son encontre – en particulier contre sa monnaie, dont le NPA ne dit une nouvelle fois absolument rien. En fait, le NPA a peur d’être accusé de souverainisme ou de nationalisme. Pourtant, il est complètement abstrait de brandir, face aux traités européens actuels, la fameuse « Europe des travailleurs/ses et des peuples » : il faut expliquer qu’une association d’États socialistes, européens ou non, n’est envisageable que sur la base d’une destruction des institutions actuelles, qui ne sont pas un cadre neutre dans lequel il s’agirait d’insuffler une autre politique en faveur des travailleurs/ses, mais les structures de domination des capitalistes contre le monde du travail. La question politique qui se posera à un gouvernement des travailleurs/ses est celle de la sortie de l’UE et de l’euro, sans quoi l’idée d’une Europe des travailleurs/ses et des peuples restera à jamais abstraite. Il faudrait également expliquer qu’un tel gouvernement devrait imposer un contrôle strict des échanges de marchandises et de capitaux (monopole étatique du commerce extérieur), car les biens et services issus du nouveau mode de production ne devront pas être mis en concurrence avec la production capitaliste, afin que leurs débouchés soient assurés.

    Cette section présente enfin une critique de l’impérialisme français qui marque une vraie différence par rapport à la position réformiste de Mélenchon : « fin de la Françafrique, à commencer par le retrait immédiat des troupes militaires ; démantèlement du complexe militaro-industriel et arrêt d’exportation d’armes françaises ». Mélenchon, qui appuie en partie sa politique sur la puissance de la France dans le monde, ne peut évidemment pas en finir avec l’impérialisme français, quand bien même il fait dans son programme la promotion d’une diplomatie « altermondialiste » plus respectueuse des droits des peuples des États dominés. Une précision toutefois : le mot d’ordre du pur et simple démantèlement de l’industrie de défense et d’armement reste lui-même symptomatique d’un positionnement abstrait qui refuse d’envisager les conditions concrètes de la prise du pouvoir par les travailleurs/ses. On ne peut imaginer transformer substantiellement la société et initier la transition vers le communisme sans assumer de devoir défendre la révolution contre des attaques de toutes parts, menées à la fois par les Etats capitalistes environnants et par les forces bourgeoises et réactionnaires locales qui mèneront la guerre contre-révolutionnaire. Le nouveau gouvernement des travailleurs/ses ne pourra résister que s’il garde le contrôle sur l’industrie d’armement afin de la mettre au service de la défense et de l’extension de la révolution. Le mot d’ordre révolutionnaire à opposer aux positions réformistes qui contournent la critique de l’impérialisme français, ce n’est pas la position abstraite du démantèlement du complexe militaro-industriel, mais la fin immédiate de toute activité commerciale liée à cette industrie. Il s’agit d’arracher aux capitalistes ce secteur juteux et nécessaire à la préservation de la domination impérialiste, en empêchant de transformer les moyens de défense en marchandises. Le gouvernement révolutionnaire aura besoin de se défendre, mais pas de vendre des armes à qui que ce soit : ni, bien sûr, aux États capitalistes qui sèment la guerre dans le monde, ni à d’éventuelles forces révolutionnaires alliées dont le soutien ne peut pas être indexé à la perspective du profit. Il s’agit donc de soustraire l’industrie d’armement à la politique commerciale de l’État français, qui est aussi un levier important de son impérialisme. Un candidat comme Mélenchon ne peut en aucun cas assumer de renoncer à ce marché essentiel à la politique étrangère du pays. Ici, le réformisme de Mélenchon pose des limites strictes à l’internationalisme. Il appartient à un programme révolutionnaire conséquent de dépasser ces limites tout en assumant concrètement la question du pouvoir.

    L’encadré conclusif : « Comment rompre avec le capitalisme ? »

    La dernière page du document présente un encadré dont l’intitulé pouvait laisser penser qu’il pallierait en partie les insuffisances évoquées jusqu’ici. Demander comment rompre avec le capitalisme, c’est en effet assumer une stratégie révolutionnaire tendue vers l’édification d’une société communiste. Seulement, dans la mesure où le projet de société décrit précédemment n’a rien à voir avec une société communiste, on aurait été presque étonné de trouver ici une description précise des moyens permettant l’instauration durable d’un gouvernement des travailleurs et la construction d’institutions communistes. Or, le moins qu’on puisse dire, c’est que cet encadré ne créera pas la surprise chez son ou sa lectrice…

    En effet, il ne nous est pas du tout expliqué comment il faudra retirer le pouvoir économique des mains des capitalistes, en les expropriant et en créant d’autres institutions collectives (après tout, s’il s’agit seulement de redistribuer plus équitablement le « pognon de dingue », il n’est effectivement pas nécessaire de s’attaquer fondamentalement à la propriété privée de tous les moyens de production). Il ne nous est pas non plus expliqué comment un gouvernement des travailleurs/ses devra détruire les institutions de l’État tel qu’il existe aujourd’hui pour pouvoir résister à la contre-révolution extrêmement violente qui ne tardera pas à le menacer (après tout, s’il s’agit seulement de combattre les dérives l’État policier et raciste, il n’est effectivement pas nécessaire de penser la suppression et la refondation de toutes les institutions liées à l’État sur les bases de la démocratie ouvrière). Il ne nous est enfin pas expliqué comment le nouveau gouvernement socialiste devra se protéger des attaques des États et des institutions internationales capitalistes à l’extérieur de ses frontières, en instaurant par exemple une monnaie inconvertible sur les marchés et le monopole du commerce extérieur.

    Non, à la place de tous ces éléments stratégiques qui seuls peuvent délimiter une perspective révolutionnaire d’une perspective réformiste – à moins que les mots n’aient plus de sens, et que « révolutionnaire » ne désigne plus qu’une posture de radicalité, nous ne trouvons en fait que le traditionnel topo sur le fait que le changement social ne s’impose pas dans les urnes, mais dans la rue : « Nous avons conscience qu’il ne suffira pas d’une victoire électorale pour que les choses changent. La seule façon d’appliquer un tel programme est de l’imposer à ceux qui détiennent aujourd’hui les rênes de l’économie. Pour cela, il faudra un mouvement d’ensemble, que la population s’organise dans les quartiers et les entreprises, pour constituer une force sociale capable d’en finir avec ce système, l’exploitation et toutes les oppressions qu’il engendre. » La critique de l’électoralisme et l’appel au mouvement social pour imposer des mesures progressistes ne suffisent évidemment à définir ni un projet de société communiste par rapport à un projet de renégociation du partage des richesses, ni une stratégie révolutionnaire par rapport à une stratégie réformiste (laquelle peut aussi compter la grève et l’organisation des travailleurs/ses parmi ses moyens d’action). Or, si dans ce programme la stratégie révolutionnaire fait défaut, c’est bien en définitive parce que le projet de société communiste lui-même est absent.

    Quelle conclusion politique en tirer pour les élections à venir ?

    De notre point de vue, la lecture du programme du NPA pour ces élections présidentielles nous confirme le bien-fondé de notre position consistant à apporter un soutien critique, sans accord programmatique, à la campagne Mélenchon. En effet, il en va de deux choses l’une :

    • Soit la campagne Poutou doit permettre en priorité d’opposer une alternative crédible aux attaques de Macron contre le monde du travail et au risque très sérieux de la prise du pouvoir par l’extrême droite. Or, de ce point de vue, il est clair que Philippe Poutou ne peut pas empêcher la victoire de Macron ou de Le Pen/Zemmour, et que le seul programme qui promet une amélioration sensible des conditions de vie des travailleurs/ses et qui soit susceptible d’accéder au second tour est celui de J.-L. Mélenchon. Bien sûr, les chances sont relativement faibles, mais elles ne sont pas nulles comme c’est le cas pour la candidature de Philippe Poutou. Tactiquement, il est donc plus pertinent de voter Mélenchon que Poutou – et de faire sa campagne pour que le plus de gens possibles fassent de même –, sans que cela implique la moindre concession programmatique ou la moindre illusion quant aux limites réformistes de son programme.
    • Soit la campagne Poutou a pour fonction prioritaire de faire entendre à un large public la différence d’un projet communiste révolutionnaire face aux politiques réformistes, et il faudrait alors se poser la question suivante : est-ce en présentant une candidature qu’on fera entendre ce projet le plus largement ou est-ce en le défendant en apportant un appui tactique à la candidature de Mélenchon et en s’insérant des collectifs plus larges de campagne ? Mais encore faut-il, pour que cette question se pose concrètement, qu’il existe effectivement une telle candidature communiste révolutionnaire crédible. Or, il faut hélas constater que le NPA ne cherche manifestement pas à investir la campagne présidentielle pour y défendre en positif un projet de société communiste : le programme qu’il porte à l’élection est un programme progressiste, plus radical que celui de Mélenchon sur certains aspects importants (en particulier l’internationalisme), mais sans rupture qualitative nette avec le réformisme, et qui reste beaucoup plus vague et lacunaire qu’un programme réformiste conséquent. Ce n’est donc pas en soutenant la campagne Mélenchon sans accord programmatique (ainsi que le propose la Tendance Claire) que l’on fait des compromis avec la perspective communiste révolutionnaire, mais en soutenant sans recul critique le programme porté par la candidature Poutou.

    Dans ce contexte, la campagne Poutou ne peut en vérité relever que d’un intérêt d’appareil (préserver le NPA dans le paysage politique français), qui n’est pas illégitime en soi (malgré nos divergences avec la majorité, nous sommes évidemment pour la construction de notre parti !), mais qui ne nous semble pas devoir être priorisé par les militant.e.s révolutionnaires en toutes circonstances électorales. Dans le cadre de l’État bourgeois, les questions électorales ne posent par définition que des problèmes tactiques.

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