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Un mouvement d’ampleur de l’éducation nationale est-il possible ?
Réussite de la journée d’action du 1er février
La grève de mardi 1er février a été bien suivie : selon les chiffres du ministère, inférieurs à ceux des syndicats, plus de 20 % du personnel était gréviste, soit plus d’un collègue sur cinq. C’est au collège que la mobilisation à été la plus forte, avec 29 % de grévistes (55 % selon la FSU). Suivent ensuite les écoles primaires (20 %), les lycées professionnels (12 %) et enfin les lycées généraux (8 %). L’intersyndicale estime près de 50 % de grévistes au niveau national.
Cette dynamique de mobilisation peut s’expliquer par les facteurs objectifs de la concentration des attaques contre l’école publique par les gouvernements Macron : les classes de niveaux à la rentrée au collège qui signifient en réalité la fin du collège unique, les sous-effectifs structurels des écoles primaires, et enfin la continuité des attaques contre le lycée professionnel, avec une nouvelle réforme de l’année de terminale pour la rentrée 2024. À l’inverse, le lycée général est momentanément épargné, ayant subit les contre-réformes précédentes avec Blanquer (notamment le traumatisme ParcourSup qui supprime le bac national) et ayant obtenu, avec Attal, le retour à une année de terminale complète.
La manifestation parisienne a regroupé, dans une ambiance combative, entre 7000 et 13 000 personnes, un chiffre important si l’on compare aux précédentes mobilisations du secteur depuis le COVID. Malgré cela, les centrales syndicales ont refusé d’aller jusqu’au ministère et les ballons ont été dégonflés à l’entrée de la rue de Grenelle. Elles n’ont pas osé franchir les quelques lignes de gardes mobiles, plutôt paisibles et sans casques, qui bloquaient l’accès, et ce malgré une pression à la base qui scandait « AOC démission / Amélie Casse Toi » et dont une partie s’est approchée au plus près du ministère, ce qui est rare dans ce genre de manifestations.
Comment construire un rapport de force lorsqu’on stabilise une ministre pourtant fragile ?
Le 16 janvier, cinq jours après la nomination (et donc après les mensonges et des insultes à l’égard des enseignant·e·s) de la nouvelle ministre Amélie Oudéa-Catéra, l’intersyndicale du lycée professionnel la reconnaissait en lui demandant de « renoncer au texte réformant le bac pro. Plutôt que de profiter de sa fragilité (pour rappel, la ministre est une fervente défenseuse de l’école privée, de l’élitisme bourgeois et du prof bashing), l’intersyndicale la place en interlocutrice légitime qu’il serait possible de convaincre. Ici apparaît la contradiction des directions syndicales : pour exister, elles ont besoin d’être reconnues par les institutions (et en premier lieu par les ministères) tout en gardant une légitimité populaire et / ou sectorielle : elles sont donc obligées de construire des mobilisations. C’est dans ce cadre que l’on peut comprendre la grève du 1er février : l’intersyndicale veut faire pression sur la ministre plutôt que de la pousser à la démission malgré la colère profonde qu’elle suscite dans la profession.
Or, nous le savons – le souvenir de la défaite de la bataille des retraites est encore frais – les grèves perlées et les journées saute moutons ne servent pas à grand-chose. Pour paraître combatives, poussées en partie par la base, la quasi-totalité des centrales de l’éducation (SNES, FO, CGT, SUD…) appellent à une nouvelle journée de mobilisation mardi 6 février, et « soutiennent les initiatives locales et les mobilisations partout où elles auront lieu pendant la semaine ». Il y a aussi des appels « à des AGs de villes et d’établissements partout où cela est possible ». Cela ressemble à la construction d’un rapport de force mais, dans les faits, que peut-on vraiment attendre de cette journée ?
Certes, les établissements régulièrement mobilisés, avec des sections syndicales fortes, vont probablement investir cette date. Des assemblées générales auront lieu et des cortèges seront créés. Mais il semble peu probable que des collègues non syndiqué·e·s ou celles et ceux habituellement peu enclins à la lutte se saisissent de cette journée de mobilisation. Elle sera probablement moins suivie que celle du 1er février, d’autant plus qu’elle aura lieu avant les vacances scolaires et donc sans aucune perspective réelle. Les chiffres de grévistes seront probablement en baisse puis chacun·e profitera d’un repos bien mérité.
Le « Plan d’urgence 93 » : un point d’appui ?
À l’échelle du 93, une intersyndicale large a pris l’initiative de revendiquer un "plan d’urgence pour le 93". Sur le modèle de 1998 et 2015, il s’est agi de chiffrer les besoins spécifiques du 93 (un département particulièrement sous doté en moyens et dont les locaux sont sensiblement vétustes) avec un questionnaire rempli par près de 80 % des établissements. Ce travail de construction du plan d’action a pris plusieurs mois, entre le moment où il a fallu le faire adopter par les différentes structures syndicales (tout en convaincant les adhérents de s’y investir) jusqu’à l’annonce du calendrier et des chiffrages précis des besoins, afin d’établir les revendications les plus justes. La deuxième étape de mobilisation a été de faire un cortège dans la manifestation parisienne du 1er février : selon la CGT Educ’action, près de 2 500 collègues y ont participé. L’assemblée générale post-manifestation a réuni près de 80 collègues, certain·e·s mandaté·e·s par des AG d’établissements ou de ville, pour défendre la perspective d’une grève reconductible à la rentrée.
Le plan de bataille consiste à faire grève dès le lundi 26 février, à la rentrée donc, puis de reconduire le mardi 27. Un questionnaire, envoyé aux syndiqué·e·s et à faire remplir par les collègues, a permis de recueillir près de 300 positionnements favorables pour la grève reconductible, ce qui est proportionnellement peu par rapport au nombre du personnel du département. De plus, la construction d’un rapport de force conséquent prendra plus de deux jours pour obtenir satisfaction : il s’agit donc de rentrer dans un mouvement long, avec toutes les inquiétudes que cela peut susciter, notamment en termes d’impact financier. D’autant plus qu’un des risques majeur est d’être isolés, et donc défaits à moyen terme.
Les bureaucraties syndicales aiment répéter qu’il « n’y a pas de bouton rouge pour déclencher la grève générale », afin de caricaturer les éléments sur leur gauche qui dénoncent, souvent à juste titre même si parfois en étant un peu déconnecté, les stratégies de l’échec de la grève perlée. Ce que ces bureaucraties proposent donc, localement, c’est de préparer une grève reconductible de combat. Nous avons donc intérêt à nous en emparer, bien qu’un problème de taille se présente déjà : les vacances scolaires vont durer deux semaines, et il ne reste donc qu’une semaine pour préparer une rentrée censée empêcher le bon fonctionnement des établissements scolaires et amorcer une grève reconductible d’ampleur. Même avec un investissement complet de l’ensemble des syndiqué·e·s pendant la semaine, le pari est risqué. Ce qui permettra aux mêmes bureaucraties d’activer, si la grève ne prend pas, leur deuxième réplique préférée : « il n’y a pas de vapeur » – sous-entendant que « les gens ne veulent pas se bouger ».
Pourtant, des événements locaux montrent parfois que même des mises en mouvement initialement minoritaires peuvent se transformer en mouvements englobant, majoritaires, lorsque les collègues comprennent que le jeu en vaut la chandelle. C’est par exemple ce qui s’est déroulé lors du blocage du lycée Théodore Monod à Noisy-le-Sec durant l’été 2023 : d’abord impulsé par une minorité de collègues, la majorité a rejoint le mouvement par la suite. C’est là qu’un basculement, un saut en avant dans la lutte, s’opère : réuni·e·s à la majorité, les collègues sont obligé·e·s d’échanger pour prendre en main la suite de leur rupture du quotidien. Les Assemblées Générales décident chaque jour de la suite à donner et des perspectives à viser.
C’est le tournant que devra prendre la grève, potentiellement reconductible, du 26 février : être tenue par une minorité active qui tentera de convaincre la majorité de se mettre en grève ou au service de la grève. Ces décisions ne pourront être prises que lors des Assemblées Générales qu’il sera nécessaire d’animer. Les obstacles sont nombreux : le poids des défaites, la multiplicité des combats à mener, les problématiques locales et intimes, l’absence de réflexes collectifs, les pressions plus ou moins fortes des chefs d’établissement sont autant d’éléments démobilisateurs. C’est aussi la raison pour laquelle une caisse de grève centrale doit être ouverte et déjà en partie fournie : il ne s’agit pas de « payer la grève » mais de montrer à l’ensemble des travailleurs et travailleuses de l’éducation que l’objectif est de mener un combat sérieux, organisé, préparé. Cet aspect est absolument central.
La bataille pour un plan d’urgence peut-être réussie si elle est sérieusement organisée sur les lieux de travail, avec les collègues du quotidien, et pas seulement les camarades de lutte.
– Pour une grève de combat, auto-organisée et soutenue par les organisations syndicales dans le 93, mais aussi sur l’ensemble du territoire
– Pour la mise en place d’une caisse de grève, préalablement alimentée, dont les modalités de redistribution seront décidées par les travailleurs et travailleuses de l’éducation eux/elles-mêmes
– Pour la rupture du « dialogue social » avec une ministre illégitime, protectrice de l’école privée et destructrice de l’école publique
- Pour un appel national à la grève reconductible des directions syndicales nationales. Un tel appel serait évidemment un point d’appui important pour que les AG reconduisent de façon coordonnée la grève au niveau local.
– Pour une école ouverte, qui accueille l’ensemble des enfants en âge d’être scolarisé·e·s
- Pour une école émancipatrice qui n'instrumentalise les cours d'éducation civique pour enseigner une version dévoyée de la laïcité et pousser les élèves à rentrer dans le rang voulu par le gouvernement
– Contre la « transformation de la voie professionnelle » et l’augmentation des effectifs de 24 à 27 en lycée professionnel
– Contre les groupes de niveaux et la destruction du collège unique.