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Marée noire du golfe du Mexique : au-delà des évidences, deux réflexions sur les désastres de l’industrie pétrolière
Le 20 avril 2010, dans les eaux du golfe du Mexique, une explosion accidentelle a détruit la plate-forme de forage Deep Water Horizon. La marée noire qui s’en est suivie est d’une énorme importance. Jusqu’au 3 juin, date à laquelle la compagnie pétrolière BP a réussi à stopper partiellement la fuite de pétrole brut, 20 000 à 40 000 barils par jour se sont répandus en mer (1). Il s’agit de la pire catastrophe écologique de l’histoire des États-Unis. Le 14 juin, Barack Obama a comparé cette marée noire à un 11-Septembre écologique.
D’un point de vue communiste révolutionnaire, plusieurs leçons peuvent être tirées de ce désastre. La cupidité des dirigeants, particulièrement révoltante (2), est évidente. Si la presse bourgeoise se déchaîne contre les dirigeants de BP, elle n’explique pas que leur comportement est parfaitement rationnel d’un point de vue capitaliste. Comme toutes les entreprises capitalistes, le seul objectif de BP est la maximisation du profit à court terme, quelles qu’en soient les conséquences sur le plan social ou écologique.
Face aux intérêts privés des entreprises comme BP, l’incapacité des États (structurellement au service du système capitaliste) à imposer des conditions d’exploitation correctes de sécurité apparaît au grand jour. Obama, fragilisé pour cette raison, peut bien faire de grandes promesses : il ne peut ni ne veut régler le fond du problème. Par ailleurs, cette marée noire est également l’occasion de rappeler la corruption de la classe politique institutionnelle, compromise jusqu’au cou par les mille et une affaires de financement par les trusts pétroliers, depuis des dizaines d’années (3).
Ceci étant, il nous semble intéressant d’évoquer ici deux questions communément moins discutées. La première est la désinformation concernant le vrai prix du crime permanent perpétré par l’industrie pétrolière. La seconde, la question de fond, concerne la finalité de cette industrie.
Étrangement, lorsqu’il s’agit de pays pauvres, les marées noires sont passées sous silence
De façon générale, le traitement médiatique des questions écologiques et environnementales est biaisé, incomplet, pourri. Il suffit pour comprendre cette réalité de considérer les raisons idéologiques d’une part, l’intérêt des gouvernements et des propriétaires des médias, d’autre part. Les exemples sont légions. Un des plus connus, en France, est celui du nuage de Tchernobyl qui, en 1986, s’était miraculeusement arrêté à la frontière. Mais si la dénonciation de ce mensonge d’État a pu finalement connaître un certain écho, c’est en bonne partie parce qu’il nous concernait directement. En revanche les scandales environnementaux des lointains pays pauvres restent largement tus.
Ainsi le traitement médiatique des marées noires ne fait-il pas exception. On ne peut que constater l’hypocrisie et la manipulation que constitue le choix de sur-médiatiser une région ou un aspect plutôt qu’un autre, au mépris de toute déontologie journalistique. Pour ne prendre qu’un seul exemple, considérons le cas du Nigeria. Ce pays a certes moins de poids que les États-Unis. Mais il est dévasté depuis cinquante ans par les marées noires continuelles des compagnie pétrolières, Shell en particulier. La description de la réalité de la vie dans le détroit du Niger donne des haut-le-cœur. Les fuites continuelles de pétrole rendent les terres incultivables, les poissons crèvent, la pêche devient impossible, la puanteur est atroce, les maladies dues à l’inhalation sont légions, l’eau potable vient à manquer. Ainsi, John Vidal écrit dans The Guardian du 6 juin 2010 : « Avec 606 champs pétrolifères, le delta du Niger fournit 40 % du total des importations américaines de brut. C’est la capitale mondiale de la pollution pétrolière. L’espérance de vie dans ses communautés rurales, dont la moitié n’a pas accès à l’eau potable, est tombée à 40 ans à peine depuis deux générations. La population locale maudit le pétrole qui pollue ses terres et trouve incroyables les efforts déployés par BP et les autorités américaines pour colmater la brèche dans le golfe du Mexique et protéger le littoral de la Louisiane contre la pollution. Si la même mésaventure était survenue au Nigeria, ni le gouvernement ni le pétrolier ne s’en seraient beaucoup préoccupés, explique l’écrivain Ben Ikari. Cela a lieu en permanence dans le delta ! »
L’indifférence des compagnies pétrolières de la région aux conséquences de leur activité d’extraction sur la population est un crime. Un crime qui dure depuis cinquante ans, une des illustrations de l’inégalité des rapports Nord/Sud, et dont les médias se font complices par leur silence. Pour leur défense, les compagnies pétrolières avancent l’existence de réparations financières. Mais les montants sont ridiculement faibles. Ainsi les fonds prévus par l’accord Opol, ratifié en 1974, s’élèveraient actuellement à 120 millions de dollars (4) – une goutte d’eau par rapport aux profits des compagnies – alors que les dégâts des catastrophes se chiffrent rapidement en milliards. Et quand bien même ces montants seraient augmentés, ils ne rachèteraient jamais les vies brisées et les ravages écologiques causés. Mais l’idée que tout peut être ramené à une question d’argent est décidément une perversion, typique de l’idéologie capitaliste.
La question de fond : l’industrie pétrolière capitaliste est-elle défendable ?
Dénoncer les conditions actuelles d’extraction du pétrole est nécessaire. Mais ce serait une erreur de s’en tenir à cette question. En effet, l’épuisement progressif des sites conventionnels mène inévitablement à la multiplication des sites dangereux : en mer, dans des zones de forage toujours plus profondes ; sur terre, dans des zones protégées (5) où les conséquences écologiques – même sans l’hypothèse optimiste d’accidents (6) – sont désastreuses.
La question de fond essentielle est celle de la remise en cause de l’existence même de l’industrie pétrolière et du mode de vie qu’engendre son utilisation capitaliste nécessairement hyper-intensive (7). Car à quoi sert cet usage capitaliste du pétrole ? À provoquer des millions de cancers des poumons dans les mégapoles ? À permettre à des millions de travailleurs de perdre des millions d’heures dans les embouteillages ? Certes, ces questions se heurtent à la nécessité de réorganiser en profondeur la société... Cela tombe bien : nous sommes révolutionnaires !
Entre les morts à l’extraction et les morts à la combustion, il est permis de se demander si le prix à payer pour le pétrole n’est pas un petit peu élevé. Cela nécessite de se libérer des schémas de pensées inculqués par le moloch capitaliste pour penser à un autre type d’industrie, de production et de consommation.
La question clé du pouvoir va se poser. Qui des travailleurs ou des industriels capitalistes vont décider de la limite tolérable des dégâts écologiques de l’exploitation pétrolière ? Qui va l’emporter des peuples des pays pauvres ou des États perpétuant une forme non-avouée de domination coloniale ? Ensuite, l’épuisement du pétrole étant à terme inéluctable, qui va arbitrer entre la nécessaire révision des modes de vie et de consommation et le pari des énergies renouvelables ? Le souci de la collectivité ou la logique du profit ?
De façon transitoire, les questions qui se posent dès aujourd’hui, concernant l’industrie pétrolière comme toutes les autres, sont les suivantes : Qui finance ? Dans quel contexte ? Dans quel but ? Pour quelle utilité sociale ? En répondant à ces questions, on prend conscience de l’emprise effrayante de la logique capitaliste sur les choix majeurs de société. Pour commencer, parce qu’une démocratie réelle supposerait une information sérieuse sur les enjeux. Or les lobbies de l’énergie possèdent un pouvoir de propagande quasi-orwellien… et également une influence écrasante sur les gouvernements.
Aux États-Unis, Bush avait déclaré le mode de vie des Américains « non négociable » (du moins de la bourgeoisie et des classes moyennes américaines, celles de la voiture reine et du pavillon individuel). À cet égard, Obama marche sur les pas de son prédécesseur. Ainsi lorsqu’il déclare : « De la même façon que le 11 septembre 2001 a durablement modelé la manière dont nous percevons nos faiblesses et notre politique étrangère, la marée noire va nous pousser à repenser notre politique environnementale et énergétique pour les années à venir (…) il est temps (...) d’opérer la transition d’une économie reposant sur le pétrole vers de nouvelles sources d’énergies » (8), il ne faut pas s’attendre à ce que les conséquences environnementales potentielles des « nouvelles sources d’énergie » (notamment le nucléaire) puissent être mises en balance dans le cadre d’un débat collectif informé.
Sur la question énergétique, une position communiste révolutionnaire conséquente ne peut qu’affirmer l’objectif de répartition globale des coûts et des bénéfices à égalité pour toutes les populations du monde. Il reviendra au futur gouvernement des travailleurs de prendre des décisions écologiquement soutenables. Les désastres mortels liés à l’extraction du pétrole et par exemple au stockage des déchets nucléaires doivent être assumés par tous ou par personne. La réalité aujourd’hui est que les pays pauvres sont les poubelles du monde occidental. Une réponse communiste, nécessairement internationaliste, ne peut l’ignorer.
Le problème n’est pas qu’une question de technologie. Pour le pouvoir capitaliste, il est inconcevable de sortir du productivisme, du gaspillage, et de la société consommation ; sa logique capitaliste le lui interdit, il est condamné à la fuite en avant, la terre entière dût-elle être transformée en delta du Niger.
1) Selon les estimations parues dans la presse. Le chiffre de 5 000 barils par jour avancé par BP a été qualifié de mensonge (Le Monde, 12 juin 2010). L’explosion de la plateforme a causé la mort de 11 ouvriers.
2) « BP, résistant aux pressions politiques, a réaffirmé vendredi son attachement au versement d’un dividende à ses actionnaires en dépit du coût élevé de la marée noire provoquée par l’un de ses puits de pétrole dans le golfe du Mexique. » (Londres, 4 juin, Reuters.)
3) C’est particulièrement vrai aux EU, où le financement par les lobbies est officiel et légal. cf. article « Celui qui est accusé du désastre dans le Golfe du Mexique, British Petroleum, a parrainé Obama », par David Brooks, 12 juin 2010.
4) L’Humanité, 19 juin 2010.
5) On se souvient, par exemple, du tollé provoqué en 2005, sous la présidence Bush, par la levée du Sénat américain de l’interdiction de forage dans les réserves naturelles d’Alaska (Arctic National Wildlife Refuge).
6) On sait ce que valent les promesses des experts des compagnies jurant leur grands dieux que les mesures de sécurité sont telles que les accidents « ne peuvent pas arriver ». L’histoire est malheureusement riche de lignes Maginot « infranchissables » et de Titanic « insubmersibles ».
7) Question que ne pose par exemple pas L’Humanité du 19/06/2010 : malgré le titre de « une » parfaitement juste (« Pétrole : l’addiction meurtrière »), tout comme le titre page 2 (« Chasse à l’or noir : le fléau des mers »), malgré les articles dénonçant correctement l’industrie du pétrole – avec le mérite de l’objectivité, le cas du Nigeria étant traité –, la question de la remise en cause de la société capitaliste elle-même n’est pas abordée. En revanche, indépendamment des critiques que l’on peut et doit formuler à l’encontre du mouvement des objecteurs de croissance, on peut leur reconnaître le mérite de proposer depuis plusieurs années une réflexion non dénuée d’intérêt sur la révision des besoins dans un perspective d’après-pétrole. Un volet important, notamment, portant sur les politiques alternatives de transports. Cf. par exemple La Décroissance n° 30, février 2006, p. 7.
8) Entretien au quotidien américain Politico, 14 juin 2010.