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    SNCF. Grèves partielles, unité de façade... : après l’échec du 12 décembre, tirer les bilans stratégiques

    SNCF

    Lien publiée le 21 décembre 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://www.revolutionpermanente.fr/SNCF-Greves-partielles-unite-de-facade-apres-l-echec-du-12-decembre-tirer-les-bilans-strategiques

    Depuis 2014 les cheminots se sont battus, à intervalle régulier, contre la destruction de leurs conditions de travail et en défense du service public ferroviaire. Après l’échec de la grève du 12 décembre, quels bilans tirer et comment se préparer à affronter la période à venir ?

    SNCF. Grèves partielles, unité de façade... : après l'échec du 12 décembre, tirer les bilans stratégiques

    L’appel à la grève reconductible du 12 décembre a constitué un échec évident, malgré la colère profonde qui existe dans le secteur. Mais loin des discours de la plupart des directions syndicales cheminotes, qui affirment que la responsabilité en reviendrait à un manque de détermination des cheminots, il nous faut tirer les bilans et poser la question de la stratégie.

    2014, 2016, 2018, 2019, 2023 : un bilan des stratégies syndicales des 10 dernières années devient indispensable pour comprendre comment, malgré une puissance de blocage importante et une implantation syndicale massive, nous en sommes là aujourd’hui. Un examen critique nécessaire dans le but de préparer une riposte à la hauteur de cette guerre sociale qui se joue contre un des bastions du mouvement ouvrier.

    La force dilapidée des cheminots depuis 2014

    La concrétisation du rêve néolibéral d’ouvrir le marché du ferroviaire à la concurrence commence à prendre réellement corps en 2014 avec la réforme du ferroviaire qui, sous prétexte d’inclure à nouveau RFF (Réseau Ferré de France, créé en 1997) dans la SNCF, divise encore plus l’entreprise publique. En effet cette « unité » retrouvée se fait en créant 3 EPIC (Établissement public à caractère industriel et commercial) avec un EPIC de tête, SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Il s’agissait alors de préparer l’ouverture à la concurrence avant que la réforme ferroviaire de 2018 ne transforme les EPIC en SA (Société Anonyme). Autrement dit, la porte ouverte à la privatisation et à la vente à la découpe de la SNCF et des cheminots que l’on voit à l’œuvre aujourd’hui.

    En 2014, si les organisations syndicales cheminotes appellent à la grève reconductible, la mobilisation est difficile tant les enjeux paraissaient lointains et complexes au regard de la situation concrète des agents. Après une dizaine de jours, le mouvement s’essouffle et la réforme est votée.

    En 2016, l’attaque est beaucoup plus concrète. Elle touche aux conditions de travail des cheminots, puisque le décret qui réglemente leurs horaires de service est transformé en un accord de branche qui doit être complété par un accord d’entreprise. La mobilisation est très forte, car les conditions de travail prévues par l’accord de branche sont désastreuses. En parallèle, le monde du travail et la jeunesse se mobilisent aussi au travers du mouvement « Nuit debout » contre la loi travail. Dans de nombreux endroits, les assemblées générales deviennent communes, les manifestations sont massives et revendiquent plus profondément un changement de société. Il s’agit d’une énorme expérience d’importants secteurs de l’avant-garde pour qui ce mouvement va consolider leur rupture avec le Parti Socialiste, au pouvoir à l’époque. La répression est forte et les directions syndicales restent réticentes à élargir la mobilisation malgré l’énorme démonstration de force des bastions du privé en grève, comme au Havre, appelée la « Capitale de la grève », et d’une jeunesse qui se mobilise avec l’espoir de construire un monde meilleur.

    Au niveau des cheminots, l’UNSA Ferroviaire et la CFDT trouvent un accord avec Guillaume Pepy le PDG de l’époque et signent, seules, un accord d’entreprise presque équivalent en termes de conditions de travail pour les cheminots de la SNCF, mais qui ne les protège que lorsqu’ils sont à la SNCF et les rend vulnérables, lors des transferts de personnel qui vont se généraliser avec l’ouverture à la concurrence quelques années plus tard. La CGT Cheminots et SUD-Rail refusent de signer l’accord, mais seul SUD-Rail entend le dénoncer. L’accord s’appliquera donc et le mouvement prend fin après une dernière manifestation immense le 14 juin 2016.

    La grève de 2018 contre le pacte ferroviaire : une lutte charnière pour les cheminots

    En 2018, le pacte ferroviaire prévoit le transfert de personnel obligatoire, la fin des embauches au statut (à compter du 1er janvier 2020) et la transformation en 5 Sociétés Anonymes des 3 EPIC existantes. Le rapport Spinetta du 15 février prévoyait aussi la fermeture de 9000 kilomètres de lignes de chemin de fer. L’accélération des attaques plongent les cheminots dans une colère noire qui s’exprime bruyamment le 22 mars, dans une grève historique sous le slogan « cheminots en colère, on va pas se laisser faire ». Les torches brûlent jusque dans les gares parisiennes. A la gare du Nord, ce sont plus de 450 cheminots qui se réunissent pour une assemblée générale et votent massivement la nécessité de partir en grève reconductible à partir du mois d’avril. C’est le cas également dans les régions, la mobilisation est générale et des milliers de cheminots déferlent dans la rue pour exprimer leur colère. La détermination se lit sur les visages, toutes et tous sont prêts pour « la bataille du rail ».

    Mais les directions des organisations syndicales, au lieu de déposer un préavis reconductible dans la foulée, se mettent d’accord, de manière unitaire, pour mettre en place un calendrier de grève perlée 2 jours sur 5 qui commencera les 3 et 4 avril 2018 et durera 3 mois, sous prétexte de devoir faire une « grève à l’économie ». Si SUD-Rail maintient formellement son préavis reconductible, dans la plupart des assemblées générales, y compris dans les gros bastions SUD comme à la gare de Lyon, les responsables syndicaux appellent à maintenir l’unité coûte que coûte et finissent donc par se ranger derrière la stratégie de la grève perlée de la CGT. La détermination est dilapidée dans un mouvement long et usant. Les assemblées générales se vident très rapidement, ce qui rend difficile l’organisation d’actions pour visibiliser et faire vivre la grève, puisque personne ne décide de la suite du mouvement. Tout semble ficelé, le calendrier est fixé et donné à l’avance, ce qui permet à la direction de s’organiser pour casser la grève. Plus les jours du « calendrier perlé » passent, plus l’impact du mouvement est limité. Alors que le sens du pacte ferroviaire est bien compris par les cheminots et qu’ils se sentent concernés et prêts au combat comme l’avait démontré la journée de grève massive du 22 mars, ils se retrouvent impuissants et finissent par laisser tomber après des dizaines de jours de grève dont il sera difficile de se remettre.

    Cela ne les empêchera pas pour autant de se mobiliser contre les deux réformes des retraites fin 2019 et en 2023. Sans rentrer ici dans le bilan précis de ces deux grandes batailles interprofessionnelles que nous avons déjà établis dans de nombreuses élaborations (ici ou ici), il est important de souligner qu’il s’agissait des grèves reconductibles et interprofessionnelles les plus longues depuis 1995. C’est dire combien il est faux de penser aujourd’hui que le problème viendrait du manque de détermination ou de volonté de faire grève des cheminots.

    Il est important de comprendre que cette force de frappe des cheminots a été l’objet d’une campagne anti-grève de la part des classes dominantes et des gouvernements successifs, qui ont cherché à limiter l’impact du droit de grève des travailleurs des transports, notamment au moyen de la réforme du service minimum de 2007 sous le gouvernement Sarkozy. Cette réforme a instauré l’obligation pour les travailleurs des transports de voyageurs de se déclarer grévistes 48h à l’avance, individuellement, permettant ainsi au patronat de s’organiser pour en limiter l’impact. En ce sens, l’abrogation de la loi sur le service minimum et de toutes les lois qui cherchent à limiter le droit de grève est une revendication centrale. Au-delà de cette question importante, qui permet également d’expliquer la dégradation du rapport de forces ces dernières années, il n’en reste pas moins que la puissance d’action des cheminots, syndiqués à un pourcentage bien plus élevé que la moyenne nationale de l’ensemble du monde du travail et souvent solidaires des mouvements nationaux interprofessionnels, a été en grande partie dilapidée par la politique des bureaucraties syndicales.

    L’émergence des luttes catégorielles aux dépens du « tous ensemble »

    En parallèle, et en partie comme un aveu d’échec de ces mobilisations nationales perdantes, se développent des grèves locales et/ou catégorielles qui connaissent un succès certain. En effet des mobilisations plus localisées, sur des revendications métier par métier, créent une tension dans les directions de lignes et d’établissements et parviennent à arracher quelques avancées notamment dans les catégories de métier les plus impactantes pour la production.

    C’est ainsi que se développe chez certains l’impression que les luttes nationales sont inutiles et que seules les luttes locales et catégorielles peuvent gagner.

    Fin 2022, l’exemple du « Collectif national des ASCT », mouvement né sur Facebook et regroupant des contrôleurs de toute la France, se distingue des autres luttes catégorielles par son attachement à être « indépendant » des syndicats, par sa portée nationale et son pouvoir de frappe à la veille des vacances de Noël. Il témoigne dans une certaine mesure de la « gilet-jaunisation » de pans du mouvement ouvrier. Pour beaucoup, cet exemple doit servir de modèle. Les agents des EIC (aiguilleurs), des ateliers de la maintenance des TGV ainsi que des conducteurs à certains endroits le suivent pour arracher des promesses partielles dont beaucoup ne seront pas respectées.

    Évidemment ces grèves sont à soutenir car elles redonnent à beaucoup confiance dans le rapport de force et rappellent qu’il est possible de gagner, même sur des revendications partielles, mais elles portent le risque de délaisser une grande partie des travailleurs du rail (vente, escale, support…) et d’affaiblir collectivement les cheminots. Elles arrachent souvent des victoires partielles (par la suite parfois non respectées par la direction) sur des revendications légitimes mais assez minimales par rapport aux enjeux et aux attaques en cours. Cette division entre les différents métiers est de toute évidence encouragée par la direction et le gouvernement, d’une part, avec la fin de l’embauche au statut cheminot, créant de ce fait des cheminots de « seconde classe » qui n’ont ni les mêmes salaires ni les mêmes conditions de travail et de retraite que les cheminots au statut. Et d’autre part, avec la généralisation de la sous-traitance dans le nettoyage, le gardiennage, mais également dans la maintenance du réseau ferroviaire, ainsi que dans les métiers d’accueil et de la vente de billets en gare.

    Comme nous l’avions analysé dans les pages de Révolution Permanente, il y a quelques mois, ces grèves apparaissent surtout comme une forme de repli face au constat de l’échec des stratégies adoptées dans les mouvements de ces dernières années.

    La question des salaires : grand absent des mots d’ordre des directions syndicales

    Un des freins à la mobilisation de cette année se trouve dans les poches vides des cheminots qui ont subi un gel des salaires pendant plus de 8 ans, qui équivaut à une perte de pouvoir d’achat de 30% dans la période. Cette question des salaires aurait pu se poser au lendemain des NAO, qui ont eu lieu cette année le 20 novembre. Dans le contexte d’une austérité imposée par le gouvernement et par ricochet par les régions, la direction de la SNCF a proposé des miettes aux cheminots (0,5 % d’augmentation). Mais au lieu d’en faire un sujet de mobilisation nationale, les bureaucraties syndicales ont accepté de ne pas en faire une revendication sur leur préavis unitaire. Quand bien même elles appelaient à un premier jour de grève le lendemain des NAO, appelant notamment à un moratoire sur la liquidation de Fret SNCF et à la lutte contre l’ouverture à la concurrence, elles ne disaient pas un mot sur les salaires, ce qui pour beaucoup de cheminots était incompréhensible.

    S’il est souvent question des salaires dans les tracts de la CGT Cheminots et de SUD-Rail, il est à noter qu’aucun préavis déposé pour un mouvement national ne reprend cette revendication.

    Il paraît pourtant évident que les 1,4 milliard d’euros de bénéfices du groupe, l’an passé, sont le fruit du travail des cheminots qui font le train au quotidien et qu’il serait légitime de revendiquer des augmentations de salaires conséquentes, ainsi que l’indexation des salaires sur l’inflation.

    Le mouvement du 12 décembre contre la liquidation de Fret SNCF et l’ouverture à la concurrence, ou la politique d’un échec annoncé

    C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les difficultés auxquelles ont fait face les cheminots et les équipes militantes à l’heure de préparer le mouvement de grève à partir du 12 décembre, à l’appel des fédérations syndicales cheminotes.

    Au-delà des contradictions-mêmes de cet appel unitaire, du manque de temps et de préparation pour en faire une grève réussie, il ne faut pas sous-estimer l’impact qu’a eu l’attitude des fédérations qui se sont retirées avant même le début de la grève. En effet, sous prétexte d’une unité syndicale de façade et par le haut, SUD-Rail et la CGT Cheminots avaient accepté encore une fois de se ranger derrière les conditions de l’UNSA Ferroviaire et de la CFDT pour un appel unitaire, à savoir le fait que le préavis national à la grève reconductible à partir du 12 décembre ne mentionne pas la question des salaires, tout en restant sur des revendications minimalistes comme un « moratoire » sur la liquidation de Fret SNCF, alors que pour tous les cheminots les dés semblaient jetés depuis longtemps.

    Les compromis qui ont été faits sur ces questions afin de conserver l’unité syndicale coûte que coûte, comme si cela était une fin en soi, ont rendu difficile la construction d’une mobilisation massive et radicale. Pire, alors que des accords étaient signés pour garantir le maintien de certains acquis pour les salariés du Fret pendant 36 mois au lieu de 15 mois comme le prévoit la Loi Orientation Mobilités, l’UNSA Ferroviaire et la CFDT Cheminots ont annoncé quitter le mouvement avant même qu’il ne commence, laissant ainsi les militants SUD-Rail et la CGT seuls sur le terrain avec des revendications minimalistes du type moratoire pour le FRET et tandis que des accords qui visaient à démobiliser les agents du FRET étaient signés. Encore une fois, cela montre les limites de la politique de l’unité syndicale à tout prix et sur le plus petit dénominateur commun, qui fait obstacle à une véritable politique offensive pour mobiliser massivement les cheminots. Cela apparaît d’autant plus comme une erreur stratégique majeure, lorsqu’on sait que le pouvoir de mobilisation de l’UNSA Ferroviaire, surtout présente chez les cadres de l’entreprise, et de la CFDT Cheminots, syndicat très minoritaire, est plus que limité.

    Face à la privatisation, à la casse sociale et à la crise écologique, construire une lutte d’ensemble

    Nous avons essayé d’expliquer certaines des causes de cette grève mort-née. Il y en a sûrement d’autres mais toujours est-il que les directions syndicales ont une grande responsabilité dans ce marasme. Il serait faux et dangereux d’estimer que ce sont les cheminots qui ne savent plus se battre, sans poser le bilan de ces 10 dernières années.

    La création des CSE a largement nuit à la présence syndicale sur le terrain : moins 80% d’élus, accaparés par de plus en plus de réunions, sur des périmètres plus grands. Or, il est plus que jamais nécessaire de réinvestir le terrain pour sensibiliser davantage les cheminots, mais aussi les usagers sur la nécessité de se battre. Si la grève cesse aujourd’hui, cette guerre de classe de longue haleine à laquelle nous sommes confrontés, elle, ne fait que commencer. Dans chaque lot transféré dans les filiales SNCF de droit privé, ou dans toute autre entreprise ferroviaire, l’action collective des travailleurs du rail est cruciale pour établir un rapport de force afin d’arracher des conditions de travail dignes, des salaires qui permettent aux familles cheminotes de vivre et des investissements qui permettent de construire un service de transports de qualité pour les millions de travailleurs qui l’utilisent chaque jour.

    Il faudra de la solidarité entre les travailleurs directement concernés par les transferts et ceux qui resteront encore, pour quelques mois, au sein de la SNCF. Mais aussi avec les usagers, qui vont vite comprendre l’escroquerie quand ils vont constater les augmentations de tarifs déjà prévues, ainsi que les organisations écologistes, qui ont tout intérêt à s’allier aux cheminots pour défendre le rail et la planète. Le train est le transport d’un futur vivable pour les générations qui viennent. Mais il ne le sera pas s’il reste aux mains de ceux qui détruisent la planète depuis des décennies.

    Il est clair que dans cette période d’instabilité politique les cheminots, mais aussi l’ensemble des travailleurs et de la jeunesse doivent s’engouffrer dans la brèche. Pour cela, il faudra débattre au sein de nos organisations syndicales, tirer les bilans des échecs du passé, mais aussi sur les lieux de travail et les différents chantiers, avec l’ensemble des collègues, syndiqués ou non, pour reprendre en main nos luttes et préparer des combats gagnants pour les mois et les années à venir.