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    Juan Chingo - La victoire était possible. Bataille des retraites, un bilan

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    Lien publiée le 29 septembre 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://www.revolutionpermanente.fr/La-victoire-etait-possible-Bataille-des-retraites-un-bilan

    Alors que la question de comment affronter le gouvernement Macron-Barnier traverse la rentrée sociale, les directions syndicales affirment que la bataille des retraites aurait démontré l’impossibilité de construire une grève générale en France. Contre ce discours de la défaite, qui déforme ce qu’a été ce grand mouvement, la conclusion du livre de Juan Chingo La victoire était possible (2023) apporte des éléments précieux.

    La victoire était possible – Les Éditions Communard.e.s

    Ces dernières semaines, le spectre de la bataille des retraites plane à nouveau sur la situation française. Face à la crise politique et au coup de force de Macron après les législatives, les directions syndicales ont choisi d’esquiver toute perspective de mobilisation sur le terrain démocratique. Dans ce cadre, leur bilan du grand mouvement de 2023 sert d’alibi à l’absence de plan de bataille et à la perspective limitée du 1er octobre, qui accompagne une logique centrée sur le dialogue social.

    Fin août, face à des interpellations sur les réseaux sociaux pointant la nécessité d’une « grève générale » contre Macron, Murielle Guilbert, co-déléguée générale de Solidaires explique ainsi dans Mediapart : « Le bouton magique de la grève générale n’existe pas. On a essayé de la construire pendant la réforme des retraites mais on n’a pas réussi. Il faut convaincre une majorité que c’est la grève et le blocage qui permettent de faire avancer les choses. » Un membre de la direction nationale de la CGT surenchérit : « Le 7 mars 2023, sur la question cruciale des retraites sur laquelle les salariés étaient très mobilisés, qui les touche directement, on a appelé à généraliser la grève générale, à ce que la France soit mise en arrêt… Ça n’a pas fonctionné. »

    Un bilan repris à son tour par Sophie Binet ces dernières semaines. Dans L’Humanité, interrogée sur l’absence de grève pendant les JO, la secrétaire confédérale explique n’avoir « pas de bouton rouge "grève générale" sur [s]on bureau » et embraye : « il faut arrêter le fantasme des pseudo-grèves par procuration. Les cheminots, les énergéticiens, les dockers… ne supportent plus ce discours. (…) Durant le mouvement des retraites, ces secteurs (…) se sont sentis très seuls pour construire les grèves reconductibles. (…) Ils le paient cash avec une terrible répression syndicale. » Une rhétorique qui balaye la responsabilité de l’intersyndicale dans l’absence d’extension de la grève reconductible, alors même que celle-ci aura assumé clairement tout au long de la bataille, en phase avec l’orientation de la direction de la CFDT, le refus de construire un blocage reconductible de l’économie.

    Extrait de son livre La victoire était possible (Paris, Communard.es, 2023), ce texte de Juan Chingo propose d’aller au-delà du récit, très largement partagé à gauche, qui fait de la grève générale une impossibilité objective en France. Un récit particulièrement décalé à propos d’un mouvement d’une profondeur immense, qui a mobilisé des millions de travailleurs et a été traversé par une claire radicalisation dans des moments clés. Prendre au sérieux la possibilité de vaincre et la perspective stratégique de la grève générale, implique en revanche de comprendre que celle-ci exige une politique active, et d’assumer un regard sans complaisance sur celle qui a été mené. Un enjeu essentiel, lié plus largement à la question de la stratégie à bâtir pour affronter Macron-Barnier et l’extrême-droite et pour construire les affrontements à venir.

    *****

    Tout au long de ces pages, nous avons mis en lumière le potentiel dont disposait le mouvement, et esquissé une politique qui aurait pu permettre de dépasser les limites de celui-ci, car nous sommes convaincus que rien ne le condamnait d’avance à la défaite. Il est vrai que le néolibéralisme a plongé la classe ouvrière dans une précarité structurelle qui rend plus difficile les tâches de front unique ouvrier et les politiques visant à unifier la classe. De même, ses conséquences pèsent subjectivement et entravent la confiance des exploités dans la possibilité d’un autre monde, d’autant plus après les dégâts causés par le stalinisme et le « socialisme réel ». Pour autant, nous refusons toute attitude fataliste qui réduirait l’issue du conflit entre les classes à ce constat objectif. Cela reviendrait en effet à évacuer les enjeux proprement politiques et stratégiques qui jouent un rôle et influencent cette issue.

    Ce sont ces questions stratégiques que ceux qui nous critiquent à gauche refusent de mettre en cause, en réduisant nos positions à une simple dénonciation de la « trahison des dirigeants ». Contre ces mêmes voix qui justifient la politique de l’intersyndicale, nous reprenons les mots de Marx à Kugelmann dans une lettre du 17 avril 1871 : « Il serait certes fort commode de faire l’histoire universelle si on n’engageait la lutte qu’à condition d’avoir des chances infailliblement favorables. Cette histoire serait par ailleurs de nature fort mystique si les « hasards » n’y jouaient aucun rôle. Naturellement, ces hasards entrent dans le cadre de la marche générale de l’évolution et sont compensés à leur tour par d’autres hasards. Mais l’accélération ou le ralentissement du mouvement dépendent beaucoup de « hasards » de ce genre – et parmi eux figure aussi cet autre « hasard » : le caractère des gens qui se trouvent d’abord à la tête du mouvement [1]. »

    C’est armés de cette hypothèse méthodologique que nous synthétisons maintenant les spécificités et les apports du mouvement contre la réforme des retraites, ainsi que les obstacles et les problèmes stratégiques qu’il n’a pas pu résoudre.

    Une plus grande centralité de la classe ouvrière

    Bien que cela ne se soit pas exprimé dans sa direction, ni totalement dans les modalités de lutte, la bataille des retraites a été marquée par une plus grande centralité de la classe ouvrière. Comparons-la avec ce qui a représenté le point culminant de la contestation sociale et politique contre Macron lors de son premier quinquennat : le mouvement des Gilets jaunes. Ce soulèvement inattendu a pris les autorités politiques au dépourvu car celles-ci ne s’attendaient pas à ce qu’un secteur social aussi marginalisé et peu représenté par les syndicats et les corps intermédiaires puisse se mettre en mouvement. Le mouvement des Gilets jaunes a pris un caractère plus plébéien, ou populaire, du fait de son caractère interclassiste et malgré sa forte composante sociologique ouvrière et de bas salaires de la « France périurbaine ». La classe ouvrière, entendue au sens de sujet politique aux méthodes de lutte propres, s’est retrouvée diluée dans la figure du « peuple » qui a donné ses couleurs au mouvement.

    Si on le compare aux Gilets jaunes, on peut dire que le mouvement des retraites a pris davantage un caractère de classe. Cela s’exprime par une série d’éléments. Même s’il a trouvé des relais et de la solidarité dans d’autres secteurs de la population active, y compris dans certains secteurs des couches intermédiaires, des artisans ou des patrons de TPE, le mouvement a principalement reposé sur le salariat. Cela s’est vu dans les grandes métropoles, comme Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse et bien sûr Paris et sa région, mais également dans villes moyennes, petites et mêmes très petites, où le mouvement a été particulièrement fort et remarqué. Cette spécificité s’explique dans certains cas par le poids des services publics et de la syndicalisation en leur sein, ou par une composition ouvrière particulière de la population active, comme en Bretagne, où l’agro-industrie pèse fortement, ou en Mayenne, où on trouve de nombreux grands producteurs laitiers et usines de conditionnement de viande. Cette situation n’est pas inédite : l’importance des villes moyennes et petites s’était déjà fait sentir dans la lutte contre la réforme des retraites de Sarkozy en 2010, ou dans les mobilisations contre la loi Travail de Hollande en 2016. Mais la persistance, la profondeur et la massivité de la mobilisation dans ces villes, au cours des premiers mois de l’année 2023, ont été remarquables.

    Outre cette large participation des travailleurs, le caractère prolétarien du mouvement s’est surtout fait sentir par la centralité qu’ont pris la question du travail, de sa dégradation et de sa pénibilité, dans le débat politique.

    Une remise en question du travail objectivement anticapitaliste

    En réalité, derrière le refus de travailler deux ans de plus, ce qui s’est exprimé, c’est la façon dont l’exploitation capitaliste détruit le corps et l’esprit des travailleurs. Ce thème de classe, très fort, vient du fait que, malgré toutes les attaques néolibérales en France, les contre-réformes n’ont pas réussi à liquider l’attachement des exploités à la conquête que représente la retraite. L’aspiration à jouir d’un moment de la vie où il est possible de se consacrer à autre chose qu’à « perdre sa vie à la gagner » s’est vu renforcée par la forte dégradation des conditions de travail sous le néolibéralisme, que l’augmentation des suicides au travail montre de façon particulièrement dramatique. Cette combinaison d’éléments a été redoublée par la crise sanitaire qui a mis en lumière le rôle central joué par les travailleurs essentiels dans des secteurs jusque-là largement invisibilisés. En pleine pandémie de Covid-19, Macron lui-même a été obligé de dire que ces héros du quotidien n’étaient pas suffisamment rémunérés. Ces mêmes secteurs, qui avaient déjà ressenti l’absence de compensation pour leurs efforts pendant les confinements successifs comme une atteinte à leur dignité, ont vu ce sentiment augmenter après l’annonce de la réforme des retraites, vécue comme une insulte supplémentaire. Tout cela explique en partie la très forte mobilisation de la CFDT, syndicat qui organise certains des secteurs les plus précaires parmi lesquels les travailleurs du nettoyage, les agents de sécurité et les employés de commerce. Le fait d’être le premier mouvement social national post-Covid explique aussi le changement de regard que portent de nombreux travailleurs sur leurs conditions de travail. Un phénomène similaire a déjà été observé aux États-Unis.

    Toutes ces tendances ont été renforcées par l’inflation. Comme le dit Bernard Sananès, président de l’institut de sondage Elabe : « L’inflation ne se ressent pas seulement dans les porte-monnaie mais aussi dans le rapport au travail. La réforme des retraites est venue percuter ceux qui travaillent et pourtant n’arrivent pas à s’en sortir. Si c’est le cas, pourquoi travailler plus longtemps quand les fins de mois sont si difficiles, en viennent-ils à se demander. La réforme a aussi accentué un sentiment de déconnexion des élites. « Vous ne vous rendez pas compte combien notre vie est dure » entend-on souvent en prenant notamment l’exemple de la pénibilité. Plus largement, le débat sur les retraites voit l’émergence d’une nouvelle et profonde ligne de fracture autour du travail, alors que cela a toujours été jusqu’à présent une valeur consensuelle dans notre société. Sa centralité, c’est-à-dire la place qu’il occupe dans nos vies, est désormais fortement questionnée [2]. »

    Cette remise en cause du travail dans la société capitaliste, ainsi que le ressentiment croissant contre les riches et la déconnexion des élites ont donné aux revendications de la mobilisation un caractère objectivement anticapitaliste. Derrière les pancartes des manifestations dénonçant la dégradation des conditions de travail et l’aliénation du travail salarié, s’exprimait de plus en plus un refus de considérer comme seul travail utile les activités qui valorisent le capital.

    Enfin, même si les petites villes et les travailleurs essentiels ont marqué de leur empreinte le mouvement dans son ensemble, cela s’est fait aux côtés de bien d’autres secteurs du prolétariat, y compris ses couches supérieures, représentées par nombre d’ingénieurs, d’informaticiens ou de cadres travaillant dans des grands groupes, le secteur bancaire ou les assurances. Cette unité initiale du « monde du travail » dans la lutte, derrière une revendication très populaire aussi bien chez les secteurs les plus exploités que chez ceux qui constituaient une partie de la base sociale du macronisme, est une nouveauté politique puissante dans une France où l’extrême droite de Marine Le Pen s’est enracinée dans les classes populaires. Elle montre, de manière embryonnaire et en potentiel, comment forger un nouveau bloc social regroupant la majorité des exploités et des opprimés contre un bloc bourgeois macroniste socialement minoritaire. Stratégiquement, seul un tel projet, basé sur la lutte des classes et plaçant au centre l’hégémonie des travailleurs et des travailleuses, peut avoir une vocation contre-hégémonique face au bloc bourgeois de Macron mais également face à une extrême droite à l’affût.

    Durcir le rapport de forces : une aspiration croissante

    L’autre élément qui montre la plus grande centralité des travailleurs, est la forte conscience qui a pu exister, chez de nombreux secteurs mobilisés, de la nécessité d’élargir et de durcir la lutte pour construire une véritable grève générale, et ce même cette question n’a pas été résolue par le mouvement. Certes, du point de vue du répertoire d’actions, l’élément qui a prédominé est la manifestation déclarée, en raison du contrôle de l’intersyndicale. Néanmoins, après le recours au 49.3, on a vu un sursaut dans les grèves, surtout dans les secteurs stratégiques, et une radicalisation des manifestations, non seulement en raison de l’entrée en scène de la jeunesse, particulièrement sensible à ce coup de force brutal, mais aussi via des secteurs de travailleurs de base, conférant à la mobilisation une « atmosphère Gilets jaunes », comme on l’a remarqué à Matignon.

    Ce qui est nouveau, c’est la volonté d’une large fraction du monde du travail d’appliquer des méthodes de lutte plus dures et d’aspirer à une véritable confrontation avec le pouvoir. Du fait de la mainmise de l’intersyndicale sur la mobilisation et de l’absence de moyens adéquats pour élever d’un cran, voire davantage, le niveau de l’affrontement, cela n’a finalement pas eu lieu, nous y reviendrons. Mais l’intersyndicale elle-même a été obligée de tenir compte de cette aspiration en appelant à « mettre la France à l’arrêt » le 7 mars, même si elle a ensuite tout fait en pratique pour que cette paralysie n’ait pas lieu.

    À la veille du 49.3, alors que les manifestations pacifiques de l’intersyndicale apparaissaient aux yeux de tous comme inefficaces pour faire reculer le gouvernement, l’exaspération des manifestants est devenue palpable, comme le montrent ces quelques exemples tirés du Monde et de Mediapart : « Frédéric, cheminot de 43 ans, est lassé. Après le long mouvement social de 2019 contre le projet de régime universel, l’inflexibilité du gouvernement sur cette réforme le résigne. "Je suis encore là aujourd’hui car je ne peux pas abandonner, prévient-il. Mais, franchement, à quoi ça sert ? On est face à un pouvoir qui n’en a rien à faire de nos manifestations." En apercevant une pancarte, plus loin, à la gloire des éboueurs de Paris en grève, Frédéric exprime un regret. "Quand on voit comment ils emmerdent tout le monde avec les poubelles, on se dit qu’on aurait peut-être dû y aller plus fort tout de suite"  [3]. »

    « Loïc et Diaby viennent d’apprendre la nouvelle sur leur portable, ils sont un peu désabusés. Ces ouvriers de la construction manifestent depuis le début du mouvement, leur chasuble de la CFDT sur le dos, et considèrent qu’ils ont été "trop gentils". "On aurait dû, avec le nombre que nous étions les premières fois, remarque Loïc, se diviser et aller bloquer tout depuis le début, les aéroports, le périphérique, les gares. En se calant sur ce simulacre démocratique, on a perdu du temps" [4]. »

    Après le coup antidémocratique du 49.3, la peur de la radicalisation a même gagné certains dirigeants syndicaux qui mettaient en garde Macron contre le danger d’une explosion sociale. Cyril Chabanier, président de la CFTC, déclarait à ce moment-là, en réponse aux premières manifestations sauvages : « Nous avions dit plusieurs fois que, à force de ne pas se sentir écoutés, les gens allaient avoir envie de se radicaliser. Nous le sentions venir, même chez nos militants, qui ne sont pas des anarchistes jusqu’au-boutistes [5]. »

    Quelques semaines plus tard, dans la manifestation parisienne du 6 avril, on retrouve ce même état d’esprit chez un responsable de la CFDT qui note « une montée de l’exaspération, même chez les plus modérés […] Le gouvernement prend des risques en se comportant comme ça. Des collègues, surtout chez les jeunes, aimeraient que l’on passe à des actions plus dures. Mais pour l’instant, l’intersyndicale est très claire et tient le même discours sur les limites de la violence [6]. »

    Ce que montrent ces propos, et ce que tout militant pouvait ressentir sur le terrain, c’est que, contrairement à ce qu’ont pu avancer et défendre certains intellectuels et analystes pour qui seule la politique de l’intersyndicale serait réaliste [7], il n’y avait pas de concordance totale entre ce que les dirigeants proposaient et la disposition des travailleurs à la base, y compris chez des secteurs militants des syndicats réformistes.

    Une relation nouvelle entre travailleurs et étudiants

    Tout au long du mouvement, on a vu se nouer des relations plus étroites que par le passé entre les travailleurs et les étudiants. Cela reflète les évolutions politiques des uns et des autres, la réduction de la distance sociale entre ces deux secteurs dans un contexte où les étudiants sont de plus en plus salariés en France et que, parallèlement, le niveau de formation moyen des salariés, y compris des secteurs les plus précaires, est de plus en plus élevé.

    Selon Robi Morder, spécialiste du mouvement étudiant, « l’une des particularités de la mobilisation étudiante et lycéenne actuelle, c’est le lien concret qu’elle établit avec les grèves et actions des salariés. L’affirmation de la « solidarité étudiants travailleurs » n’est certes pas une nouveauté, elle a déjà été proclamée en mai 1968, mais la pratique était plus délicate. Le 17 mai 1968, le cortège qui s’élance de la Sorbonne occupée vers « la forteresse ouvrière » en grève de Renault à Boulogne-Billancourt se heurte aux grilles fermées. On se parle, mais au travers de grilles. La méfiance est souvent de mise contre les « enfants de bourgeois » qui feraient une crise d’adolescence avant de devenir les « patrons de demain ». Cette sociologie était déjà erronée, mais c’est elle qui demeurait dans l’imaginaire collectif. La présence étudiante et lycéenne est maintenant manifeste non seulement dans les cortèges – ce fut déjà le cas dans les mouvements de 1995, et dans les manifestations sur les retraites des années 2000 et 2010 – elle l’est aussi désormais à la base. Dans de nombreux établissements, étudiants et lycéens décident dans leurs AG et réunions de prêter main-forte aux piquets de grève de salariés, par exemple en Île-de-France sur les sites de traitement de déchets, et l’on a eu aussi des cas où des salariés grévistes viennent renforcer des blocages de lycéens pour les protéger face à la police. La nouveauté réside dans la systématisation de ces rencontres, leur multiplication, et que cela « va de soi » pour les acteurs [8]. »

    Ce « va de soi », souligné par Morder, reflète des changements structurels profonds au sein du mouvement étudiant et dans son rapport au monde du travail. Toujours selon lui « au cours de leurs études, 40 % des étudiants travaillent. Si le pourcentage n’a guère varié au cours de ces dernières décennies – c’est un pourcentage déjà mis en avant dans les années 1950 – c’est le nombre qui s’est démultiplié. 40 % de 250 000 étudiants ou de 2 500 000 étudiants ne donnent pas une même force sociale. Aujourd’hui, c’est plus d’un million d’étudiants qui travaillent, ce qui représente 6 à 7 % du salariat du privé. Autrement dit, un million de salariés, de travailleurs sont aussi étudiants. La massification du supérieur des dernières décennies a transformé également le salariat, et modifie donc sa connaissance, et partant sa vision du monde étudiant. 60 % de la population active possède le bac ou équivalent, 41,5 % a suivi des études supérieures, 27 % a au moins bac +2 et les chiffres sont plus élevés encore dans les couches les plus jeunes (diplôme le plus élevé selon l’âge et le sexe) [9]. »

    Si l’une des caractéristiques importantes de la lutte des classes en France est la forte unité étudiants-travailleurs, cette intensification des liens et des solidarités représente un véritable saut qualitatif dans cette alliance qui joue historiquement un rôle stratégique clé dans la lutte des classes hexagonale. Conscient de ce potentiel subversif, le gouvernement a tenté d’étouffer dès le début la mobilisation de la jeunesse et surtout les tentatives d’assemblées générales (AG), comme le montrent la répression des étudiants, la fermeture préventive de certains sites universitaire ou encore l’utilisation des cours en ligne pour « garantir la continuité pédagogique » coûte que coûte et saper les effets des piquets de grève devant les facs. Cette mesure est une attaque en règle contre le répertoire d’action collective que le mouvement étudiant a déployé depuis 1968. Face à ces obstacles, les étudiants devront faire preuve de créativité pour développer de nouvelles formes de lutte et jouer à nouveau le rôle moteur qui a été le leur dans le passé.

    Politisation et radicalisation croissantes contre le régime et les violences policières

    Au cours des derniers mois, sous l’effet des nouvelles tendances de la situation mondiale ouvertes par la guerre en Ukraine, sur le plan économique, notamment, avec le retour d’une inflation persistante, on a vu se développer une nouvelle vague de lutte des classes en Europe. Le réveil de la classe ouvrière et des syndicats en Grande-Bretagne est un phénomène nouveau, avec des grèves qui s’étalent sur plusieurs mois. De la même façon, outre-Rhin, on a assisté à des grèves massives pour les salaires qui ont paralysé des secteurs entiers de l’économie à l’appel de la bureaucratie de la puissante DGB dans le cadre des négociations collectives.

    Dans ce contexte, la spécificité du cas français ne tient pas seulement à la profondeur du processus. En France, le processus de lutte est confronté à un État particulièrement fort et réactionnaire, qui donne à la lutte des classes un caractère plus radical que dans les autres grandes puissances européennes et qui favorise en même temps la politisation des travailleurs. Le caractère politique du mouvement contre les retraites s’est exprimé depuis le début de la mobilisation. Mais cette politisation, qui s’exprimait par le fait que les aspirations et la colère, comme nous l’avons rappelé, débordaient objectivement le cadre des revendications fixées par l’intersyndicale, s’est renforcée face aux violences policières.

    Après le 49.3, pour éviter de recourir aux méthodes les plus dures utilisées contre les Gilets jaunes, les forces de répression ont procédé à des interpellations massives qui ont exposé aux yeux de milliers de personnes le caractère proprement arbitraire de la répression policière. L’autre élément qui a rapidement politisé la situation, c’est la conscience aiguë de la majorité de la population que le pouvoir était absolument sourd à la demande de retrait du projet de réforme, mettant à nu l’intransigeance des autorités. Minoritaire face à la rue, mais également minoritaire au Parlement, le pouvoir n’a pas hésité à utiliser les articles les plus antidémocratiques de la Ve République pour empêcher qu’un vote ait lieu. La politisation des masses a alors fait un nouveau bond et la radicalisation contre les aspects les plus décadents et autoritaires du régime et de l’exercice du pouvoir s’est largement répandue au sein des différentes couches de la population.

    Le vieillissement, l’usure et le raidissement autoritaire du régime de la Ve République qui est, depuis ses origines en 1958, le plus réactionnaire au sein des principaux pays impérialistes, ont accentué la rupture entre les masses et leurs dirigeants. Cette tendance était déjà à l’œuvre au début des années 2000 et s’était notamment illustrée lors du rejet du Traité constitutionnel européen (TCE) en 2005 par référendum. Depuis, plus aucun dirigeant politique n’a osé recourir à ce mécanisme qui sanctifiait jusqu’alors par les mécanismes du suffrage universel les décisions bonapartistes de la présidence. Dans un contexte de crise du bipartisme, cette fracture démocratique entre gouvernants et gouvernés met en lumière une crise de régime profonde, qui politise les masses sur ces questions de gouvernabilité à un niveau jamais atteint jusque-là dans la Ve République. Cette politisation exige, comme nous le verrons, une réponse totalement différente que celle qu’avance l’intersyndicale.

    Pourquoi la grève générale ne s’est-elle pas concrétisée ?

    Si nous avons vu jusqu’à présent les potentialités, les apports et les nouveautés du mouvement, voyons maintenant ses limites, en commençant par les raisons pour lesquelles la grève générale ne s’est pas concrétisée.

    À plusieurs reprises dans les articles qui ponctuent ce recueil, nous nous sommes appuyés sur les analyses qu’a faites Léon Trotsky sur la grève générale anglaise de 1926 [10]. En dépit de la distance historique et des différences avec la situation actuelle, ce texte est très utile pour comprendre certaines contradictions du mouvement ouvrier français contemporain. En Angleterre, les dirigeants officiels du mouvement ouvrier et du Parti travailliste avaient été contraints d’appeler à la grève générale, ce qui, comme l’expliquait Trotsky, était un symptôme de la profondeur de la crise sociale et politique en cours. Parallèlement, le fait que ces directions ouvertement pro-capitalistes aient pris l’initiative d’un tel appel en montre ses limites.

    Pour Trotsky, la grève générale représente, avant l’insurrection, le moment le plus avancé et le plus violent de la lutte des classes. Il était évident qu’avec une direction comme celle pilotée par Ramsay, principal leader travailliste, et James Henry Thomas, leader syndicaliste et travailliste, la grève générale ne pouvait pas aller très loin. En France, en 2023, avec une intersyndicale qui, comme l’a dit Frédéric Lordon, était « partie pour perdre [11] » nous n’avons même pas réussi à généraliser la grève. Le 7 mars, l’appel à « mettre la France à l’arrêt » n’a même pas dépassé les préparatifs. Par la suite, le recours au 49.3, a provoqué un nouveau bond dans la situation, notamment au travers de l’arrêt de la plus grande raffinerie de France près du Havre, de la grève sauvage au Technicentre de Châtillon, de l’entrée en scène de la jeunesse ou de la radicalisation des manifestations avec des éléments de débordement type Gilets jaunes. Mais l’intersyndicale a de nouveau refusé de passer à l’offensive et a cherché à éviter que les choses ne dégénèrent, en travaillant à l’apaisement de façon de plus en plus directe pour éviter la politisation et la radicalisation qui aurait pu aggraver la crise politique du régime.

    Cette attitude n’a rien de surprenant de la part de Laurent Berger, qui s’est toujours opposé à cette perspective de lutte. Elle ne l’était pas non plus en ce qui concerne le reste de l’intersyndicale, puisque c’est la direction de la CFDT qui a imposé ses conditions, ce que les autres organisations, mêmes celles qui sont classées parmi les « plus dures » dans la presse bourgeoise, ont complètement accepté. La CGT, elle, a justifié son adaptation à Berger en expliquant, comme l’a fait dans le passé, qu’« une grève générale ne se décrète pas ». Il est vrai qu’en 1968, la plus grande grève de l’histoire de l’Occident s’est généralisée sans appel ni mot d’ordre en faveur de la grève générale. Mais comme l’ont bien expliqué Daniel Bensaïd et Alain Krivine, connaisseurs et acteurs, s’il en est, de Mai 68, le fait qu’aucun appel à la grève générale n’ait été formulé n’était pas une force mais une faiblesse du mouvement.

    Contre cet étrange argument démocratique avancé par les dirigeants syndicaux de l’époque, ils écrivent : « L’argument démocratique met en avant le respect du processus de décision à la base, opposé à l’arbitraire et à la manipulation toujours possible des consignes du sommet. Cette soudaine humilité antibureaucratique est commode. Laissant aux « travailleurs et à leurs organisations syndicales » la responsabilité de l’initiative locale, elle laisse aussi aux directions nationales les mains plus libres pour conduire à leur guise les négociations. En réalité, il n’y a pas contradiction entre un mot d’ordre de grève générale conçu comme une impulsion, une proposition soumise aux assemblées générales locales et le respect des décisions souveraines de la base. Au contraire, l’engagement clair et net des directions confédérales pouvait encourager les secteurs hésitants, donner aux travailleurs des petites entreprises isolées, souvent sans section syndicale ni tradition de lutte, des garanties contre les craintes de répression patronale ultérieure [12]. »

    Ce refus, qui s’accompagne en 1968 de celui de mettre en place un comité central de grève, avec des travailleurs syndiqués et non syndiqués, associant également des représentants des petits paysans et du mouvement étudiant, et de la volonté de limiter le mouvement à un caractère purement revendicatif, était une façon, pour la direction de la CGT, de tenter de conserver le contrôle du mouvement. Comme l’écrivent toujours Bensaïd et Krivine :

    « Tout se tient : le non-appel à la grève générale, la non-formation d’un comité central de grève, la fonction strictement revendicative assignée au mouvement. Proclamée générale, la grève se serait centralisée. Ses enjeux seraient devenus globaux. Les grévistes auraient jugé les résultats des négociations, des compromis acceptables ou non, par rapport à des objectifs communs clairement énoncés. Ils se seraient prononcés ensemble, à partir de critères communs, sur les résultats obtenus et la poursuite du mouvement. Il serait devenu infiniment plus difficile aux états-majors d’éteindre le mouvement à petit feu, en ordre dispersé, de le diviser en organisant ici la reprise et en fatiguant là les secteurs les plus coriaces, désormais isolés [13]. »

    Ces passages nous semblent extrêmement éclairants. Si en 1968, face à un mouvement ouvrier à son apogée après le boom de l’après-guerre, ces questions étaient importantes, elles le sont plus encore aujourd’hui, alors que la classe ouvrière est plus hétérogène et que les syndicats sont affaiblis, après avoir perdu, dans le cas de la CGT, des centaines de milliers d’adhérents. Or, en 2023, non seulement l’intersyndicale n’a pas appelé à la grève générale, ni même à la grève reconductible, mais les dirigeants des syndicats les plus militants étaient absents des piquets de grève pendant la phase cruciale du conflit.

    Nous avons cherché à répondre aux arguments avancés par la direction de la CGT pour minimiser sa responsabilité dans le déroulé du mouvement – arguments qui sont par ailleurs repris par de nombreux commentateurs de gauche. Mais on trouve également de nombreux problèmes et lacunes stratégiques au sein des secteurs d’avant-garde qui ont mené des grèves reconductibles dans leurs secteurs. Dans ces mêmes secteurs, la combativité et la détermination ne pouvaient pas suffire en l’absence d’instances de préparation et d’extension de la grève. Seule une coordination nationale des secteurs en grève, appuyée sur des assemblées autonomes et des comités de grève, aurait pu permettre d’étendre la grève à l’ensemble du monde du travail et incarner une alternative aux manifestations pacifiques et routinières. La faiblesse n’est pas de ne pas y être parvenu mais que ces secteurs n’aient pas cherché à organiser l’ensemble de la classe, ou même seulement certains secteurs, qui auraient pu franchir le cap et se mettre en grève à condition d’être encouragés, soutenus et de lutter pour un cahier de revendications alternatif à celui de la bureaucratie syndicale. Une telle politique aurait permis à de nouvelles couches du mouvement ouvrier d’entrer dans la bataille décisive, résolvant ainsi le principal problème stratégique posé dans le cycle de lutte des classes initié depuis 2016.

    C’est d’ailleurs sur ce même problème stratégique que Trotsky insiste, au milieu des années 1930, avant l’ouverture d’une situation révolutionnaire en France avec la vague des occupations d’usines de mai-juin 1936. Dans son article « Front populaire et comités d’action », rédigé en novembre 1935 [14] Trotsky expliquait ainsi :

    « Les comités d’action, dans leur stade actuel, ont pour tâche d’unifier la lutte défensive des masses travailleuses en France, et aussi de leur donner la conscience de leur propre force pour l’offensive à venir. Cela aboutira-t-il aux soviets véritables ? Cela dépend de la réponse à la question de savoir si l’actuelle situation critique en France se développera ou non jusqu’à sa conclusion révolutionnaire. Or cela ne dépend pas uniquement de la volonté de l’avant-garde révolutionnaire, mais aussi de nombre de conditions objectives. En tout cas, le mouvement de masses qui se heurte actuellement à la barrière du Front populaire n’avancera pas sans les comités d’action. Des tâches telles que la création de la milice ouvrière, l’armement des ouvriers, la préparation de la grève générale, resteront sur le papier si la masse ne s’attelle pas elle-même à la lutte, par des organes responsables. Seuls ces comités d’action nés de la lutte peuvent réaliser la véritable milice, comptant non des milliers, mais des dizaines de milliers de combattants. Seuls les comités d’action couvrant les principaux centres du pays pourront choisir le moment de passer à des méthodes de lutte plus décidées, dont la direction leur appartiendra de droit [15]. »

    Si les secteurs qui ont accumulé le plus d’expériences dans la lutte ces dernières années (cheminots, raffineurs, énergéticiens, etc.), s’étaient fait les organisateurs de toute la classe en luttant pour la création de comités d’action, ce saut organisationnel aurait pu stimuler un tournant politique du mouvement. Ce type d’organes des masses en lutte est en effet le seul moyen de briser la résistance des appareils qui organisent la conciliation au sein du régime bourgeois, qu’il s’agisse de la bureaucratie syndicale ou, sur le plan politique, de la gauche réformiste avec à sa tête la NUPES et ses différentes composantes, à commencer par La France insoumise.

    Cette question stratégique centrale est absente des bilans et des conclusions qu’ont pu tirer le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et Lutte ouvrière (LO) du mouvement. Chacune à leur façon, ces deux organisations ont fini par capituler de différentes manières face à l’intersyndicale. Le NPA s’est battu autour du mot d’ordre « unifier notre camp, de la base au sommet », qui avait pour but de constituer un « front social et politique » du NPA à la NUPES en passant par la CGT. Mais en l’absence de toute politique de regroupement des secteurs d’avant-garde dans des organismes de lutte et de bataille pour une stratégie alternative, cette parodie de front unique s’est transformée en son contraire. Au lieu d’accélérer l’expérience des masses avec leurs directions, elle a renforcé ces dernières. De son côté, LO, a justifié son intervention extrêmement timorée et très peu visible par le fait de ne disposer que de forces très réduites, et ce bien qu’elle revendique plusieurs milliers de militants. En réalité, l’organisation s’est à nouveau contentée de mener une politique propagandiste, laissant les secteurs d’avant-garde totalement désarmés, dans la pratique et dans les faits, pour faire face à l’intersyndicale. Une adaptation à la ligne de l’intersyndicale sans opposer la moindre résistance ou alternative à la bureaucratie. Une fois de plus, face à l’épreuve de la lutte des classes, les courants historiques de l’extrême gauche ont échoué [16].

    Dans ce cadre, le Réseau pour la grève générale (RGG) s’est démarqué. Ce réseau, lancé à partir de la publication d’une tribune signée par 300 syndicalistes, jeunes et intellectuels dans le Journal du dimanche le 28 janvier 2023 autour de la nécessité de préparer la généralisation de la grève, a organisé une série d’initiatives publiques, de réunions nationales et régionales, et a regroupé plusieurs centaines de personnes, parmi lesquels des dirigeants syndicaux de plusieurs secteurs à commencer par l’énergie et les centrales nucléaires, les éboueurs et égoutiers de Paris, l’aéroport de Roissy/Charles de Gaulle, plusieurs entreprises du privé, mais également les raffineries et notamment la plus grande de France, celle de Normandie. C’est ainsi que, en raison de l’absence d’alternative, le RGG est devenu la principale et la seule opposition à la stratégie de l’intersyndicale, comme cela a pu être souligné [17].

    En raison de son caractère limité, le RGG, regroupant des militantes et militants de sensibilités politiques diverses et appartenant à différentes organisations syndicales, n’a pas réussi à mettre en place de véritables comités d’action à échelle nationale, même si des premiers pas ont été faits en ce sens à Paris, à Bordeaux, notamment autour des énergéticiens, ainsi que dans le Grand-Est. Du fait de son champ d’action limité, le Réseau n’a pas été capable de constituer un embryon de coordination qui aurait pu incarner un début de direction alternative, au moins dans certaines villes ou dans certains secteurs d’activité. Cependant, plusieurs de ses initiatives, comme l’action de solidarité active contre la réquisition des raffineurs du Havre, ont suscité une large adhésion au sein des secteurs mobilisés. Surtout, par son existence et son insistance sur la nécessité des comités d’action, le RGG a réussi à semer l’idée qu’une coordination des secteurs d’avant-garde était nécessaire, gagnant ainsi le respect de nombreux militantes et militants du mouvement et l’hostilité des bureaucraties confédérales. Poser, en ces termes, la question stratégique de la grève générale et des voies pour y arriver, à contre-courant y compris des éléments les plus activistes et mouvementistes de l’avant-garde militante, est une des questions clés à résoudre pour préparer les combats à venir.

    Par ailleurs, l’absence d’un mouvement étudiant auto-organisé en France, au moins depuis la défaite contre la LRU en 2009, a également pesé sur les mobilisations ouvrières car les pratiques d’AG étudiantes ont historiquement joué un rôle d’émulation au sein du monde du travail. De nombreux grévistes de 1995 étaient d’ailleurs lycéens dans les années 1970 et beaucoup des travailleurs des luttes des années 2000 étaient étudiants au moment de la mobilisation contre la loi Devaquet en 1986. La dernière génération étudiante ayant connu un mouvement d’ampleur est celle qui remonte au CPE, en 2006, et cela pèse au-delà des frontières du mouvement étudiant.

    Qui est responsable de la défaite ?

    Cette question est celle qui a le plus divisé ceux qui ont cherché à analyser le mouvement. Le fait que la CFDT soit restée dans l’intersyndicale est généralement avancé pour diminuer la responsabilité de la direction dans le dénouement du mouvement. Il est vrai que le comportement de Laurent Berger a tranché avec celui de ses prédécesseurs. En 1995, Nicole Notat, alors dirigeante de la CFDT, s’était positionnée contre la grève. En 2010, François Chérèque avait déserté le champ de bataille dès le vote de la loi. Contrairement à ces trahisons ouvertes, dans le mouvement de 2023, l’intersyndicale a continué, après la validation du Conseil constitutionnel et la promulgation de la loi par Macron, à appeler à une nouvelle journée d’action, le 6 juin, quelques jours avant la présentation d’une proposition d’abrogation du recul de l’âge de départ à la retraite à l’Assemblée par les députés du groupe LIOT. Les désaccords personnels entre Berger et Macron, commentés par la presse bourgeoise, n’expliquent pas ce contraste entre l’attitude de Berger et celle de ses prédécesseurs, quand bien même il s’agirait d’un élément supplémentaire pour comprendre pourquoi la CFDT a été contrainte d’entrer dans la lutte. Un autre élément, plus important, réside dans la crise du dialogue social et le mépris de Macron pour les « corps intermédiaires » ne tient pas d’abord à la personnalité du chef de l’État mais à une tendance structurelle liée à une crise profonde, à laquelle les contre-réformes néolibérales ne peuvent répondre qu’en sapant les piliers sur lesquels s’appuie la construction du consensus en démocratie bourgeoise. Mais la raison de fond qui explique le maintien de la CFDT dans le mouvement est qu’après le saut dans la crise politique et de régime précipité par le recours au 49.3, la préservation de l’intersyndicale devenait une question essentielle pour éviter la radicalisation et garder le contrôle sur le mouvement.

    De ce point de vue, le fait qu’il n’y ait pas eu de trahison ouverte ne peut masquer la responsabilité centrale de l’intersyndicale dans la défaite. Celle-ci n’a pas voulu, ni pu, se retirer de la lutte car son maintien était nécessaire pour empêcher que s’ouvrent des brèches dans lesquelles auraient pu s’engouffrer les franges les plus radicales du mouvement, entraînant derrière elles d’autres secteurs. Loin de renforcer les tendances à l’unité de la classe en s’appuyant sur les revendications les plus partagées dans les segments les plus précaires du prolétariat, l’intersyndicale a utilisé ces secteurs et la question des salaires comme un argument contre une stratégie dure, en arguant de la difficulté à perdre un jour de rémunération. Plutôt que d’élargir le programme, les directions ouvrières ont circonscrit la portée des actions auxquelles elles appelaient, évitant ainsi de poser la question d’un plan de lutte sérieux qui serait allé au-delà d’une succession de journées de mobilisations symboliques destinées à faire pression sur le gouvernement ou à lui « faire comprendre » le mécontentement existant au sein de la population. La réticence de nombreux travailleurs, en dehors des bastions syndicaux, à s’engager dans une lutte qu’ils savent difficile est parfaitement compréhensible. Mais les arguments sur le coût de la grève pour les grévistes, largement relayés par les directions syndicales, ont sciemment limité le potentiel de la lutte, en évitant l’explosion sociale que ces dernières redoutaient davantage qu’une défaite face à Macron. Nier par avance que les travailleurs situés au bas de l’échelle salariale puissent entrer dans une bataille difficile est une allégation qui ne repose sur aucun élément – et encore moins sur l’histoire du mouvement ouvrier [18] –, d’autant que la pression des travailleurs à la base était forte, au point de faire sortir Berger un instant de son immobilisme. Le fait que la masse des travailleurs précaires ne se soit pas engagée dans une lutte de classe plus ouverte n’est pas de la responsabilité de la base, mais de la stratégie de l’intersyndicale.

    Enfin, pour permettre que se déploie l’énergie combative des masses, il était essentiel de briser le fatalisme selon lequel l’exécutif ne retirerait pas la réforme, un fatalisme accumulé après des années de défaites dont les dirigeants syndicaux sont responsables. Ce fatalisme a joué un rôle central pour que le gouvernement tienne bon dans les pires moments. Or, pour briser la croyance selon laquelle Macron ne retirerait jamais la réforme et que la défaite était inéluctable, il était nécessaire de présenter une perspective radicalement opposée à celle de l’intersyndicale. Tant que les travailleurs verront leurs organisations syndicales comme des organisations de plus en plus institutionnalisées, ayant davantage leurs marques dans les ministères que sur le terrain, cherchant à conforter leur rôle de « partenaires sociaux » et à favoriser le dialogue social, il sera impossible de gagner leur confiance pour s’engager dans une lutte difficile qui exige d’être sûrs que ceux qui sont au premier plan seront prêts à mener le combat jusqu’au bout. Résumant tous ces éléments, Lordon écrit : « l’intersyndicale aura été la fabrique de l’impuissance. Elle a certes produit le nombre, mais du nombre vain, du nombre inutile – du nombre qui perd [19]. »

    La logique que nous défendons est à l’opposé de celle d’une majorité d’intellectuels et d’analystes de gauche qui, dans leur lecture de la mobilisation, n’insistent que sur la faiblesse du mouvement ouvrier, qui prétendent que les directions syndicales ont fait tout ce qui était possible, qui voient le rapport de force comme basculant inexorablement à droite et qui ironisent sur nos positions, nous présentant comme des avant-gardistes en marge de l’avant-garde. C’est précisément parce que la subjectivité et la conscience de classe demeurent encore faibles, notamment du fait d’une plus grande fragmentation de la classe, malgré la colère accumulée à la base, donnant lieu de façon répétée à des explosions de la lutte des classes et à des actions de masse, que le travail de stratégie a une importance centrale pour changer les choses dans un sens révolutionnaire. Trotsky critiquait déjà sévèrement le programme et la politique du PCF dans sa brochure Où va la France ? [20], avant même 1936. Il soulignait ainsi qu’en temps de crise, les masses ne s’engageraient pas jusqu’au bout si elles ne voyaient pas des perspectives, des luttes et des programmes sérieux et une direction déterminée. Cela nous semble encore plus vrai aujourd’hui. Nous ne nions pas qu’après des années de néolibéralisme et de précarité, de perte de confiance dans leur force collective et même dans la conscience d’appartenir à une même classe sociale, les travailleurs partent de loin. Mais plutôt que de sombrer dans le scepticisme et de s’en en tenir à constater ces difficultés, nous luttons pour une stratégie qui, si elle ne suffit pas pour gagner, servira au moins à former l’avant-garde, et qui vise à établir ou à rétablir une tradition dans le mouvement ouvrier, pour préparer les luttes qui ne tarderont pas à venir.

    Les travailleurs doivent faire de la politique

    Nous avons vu comment l’intersyndicale a empêché le mouvement de profiter du moment le plus aigu de la crise du gouvernement et du régime après l’usage du 49.3. Le refus conscient de profiter de cette formidable opportunité pour passer à l’offensive a non seulement permis que la réforme soit promulguée mais, plus grave encore, il a empêché le prolétariat de devenir une force hégémonique, ce qui serait par ailleurs le meilleur moyen pour barrer la voie à la consolidation et à la montée de Marine Le Pen. En effet, l’autre conséquence du rôle joué par l’intersyndicale, de son refus d’élargir les revendications et de politiser le bras-de-fer avec le gouvernement, est que les travailleurs n’ont pas trouvé dans les directions existantes du mouvement ouvrier une perspective globale face au gouvernement et à la crise. Cela les pousse à la recherche d’autres solutions, y compris du côté du Rassemblement national qui, avec sa politique populiste et sa démagogie, a vu sa popularité augmenter d’après certains sondages. En d’autres termes, en cherchant à limiter la politisation du mouvement, l’intersyndicale a empêché que celui-ci se dote d’une perspective propre, en indépendance de classe, et a favorisé le repli sur les options institutionnelles, y compris les plus racistes et anti-ouvrières.

    D’une manière générale, face à la crise ouverte de la Ve République, la tendance des syndicats à se replier uniquement sur la sphère des relations salariales est non seulement contre-productive, mais réactionnaire [21]. À l’heure des grands défis et dangers qui poussent les masses à l’action, les frontières entre le politique et le syndical, qui ont été entretenues pendant plus d’un siècle, en raison du respect scrupuleux de la Charte d’Amiens, par les directions officielles du mouvement ouvrier français, sont en train de s’estomper. Les travailleurs veulent savoir comment se sauver de la catastrophe qui frappe déjà à leurs portes avec l’inflation ou la crise climatique. Ils veulent savoir comment stopper les tendances bonapartistes et autoritaires de cette Ve République décadente et comment répondre au danger de guerres et de conflits nucléaires qui traversent à nouveau l’Europe. Dans ce contexte national et mondial, si nous avons insisté sur les comités d’action, c’est parce qu’ils ne sont pas simplement une réponse aux besoins de la lutte. Il s’agit d’un moyen pour que la classe ouvrière se constitue en sujet hégémonique, dans un contexte saturé d’appareils bureaucratiques, typique des structures sociopolitiques occidentales comme la France, quand bien même ces appareils seraient plus faibles qu’avant [22]. Un bloc contre-hégémonique face au bloc bourgeois de Macron, désormais résolument à droite, ne se fera pas à travers une nouvelle combinaison parlementaire ou un éventuel gouvernement de gauche. Il doit se forger et se construire dans la lutte.

    Depuis 2016, le prolétariat français est entré dans un nouveau cycle de lutte des classes. Il y affronte la contre-révolution néolibérale avec une continuité et une intensité qu’on ne retrouve dans aucun autre pays impérialiste. Dans ce contexte aigu de luttes sociales et de crise politique, dont la base structurelle est l’aiguisement de la crise organique du capitalisme français, il existe une tendance récurrente à des irruptions prérévolutionnaires des exploités. C’est ce que l’on a pu voir de façon plus décisive avec les Gilets jaunes et, de façon plus contenue mais non moins profonde, dans la bataille des retraites, notamment après le recours au 49.3. Ces éléments prérévolutionnaires, ces expériences et changements dans la conscience de secteurs de l’avant-garde et de masses se sont agrégés ces dernières années, marquant ce que l’on pourrait définir comme une longue étape de la lutte des classes en France qui va bien au-delà du seul conflit actuel des retraites.

    Dans ce cadre, la tactique et la stratégie redeviennent des enjeux politiques auxquelles les mouvements sociaux de ces dernières années n’ont pas suffisamment réfléchi. Il est nécessaire que l’avant-garde accorde d’avantage d’importance à discuter ces questions clés, et pas seulement aux besoins immédiats de la lutte. Alors que les bureaucraties ouvrières, agents de facto d’une Ve République qu’elles refusent de remettre en question, sont le facteur le plus conservateur de la situation, les luttes féministes, antiracistes, écologistes, antifascistes, etc., qui ont été marquées par une certaine vitalité ces dernières années, restent privées d’horizon stratégique. Après la canalisation, la déviation et la défaite de la poussée révolutionnaire des « années 1968 », les mouvements sociaux ont progressivement relégué la perspective de la destruction de l’appareil capitaliste et étatique et la réflexion sur les moyens nécessaires pour la mener à bien (organisation, usage de la force, prise du pouvoir, etc.), comme si la révolution ne faisait plus partie de leurs objectifs de luttes.

    Sans poser à nouveau le problème de la rupture avec le capitalisme et tout ce que cela implique, nous ne pourrons pas sortir d’une posture défensive. Nous nous référons ici à toute une série de questions stratégiques auxquelles nous avons tenté de répondre dans ce recueil, telles que l’articulation des regroupements de secteurs en lutte au travers de comités d’action pour lutter pour le front unique et faire le lien entre la construction d’une organisation révolutionnaire et la lutte pour le développement de conseils ou de soviets. Nous pensons également aux questions programmatiques, et à la nécessité d’un cahier de revendications commun pour souder la lutte contre la réforme des retraites à celle pour une échelle mobile des salaires face à l’inflation, mais aussi à un programme démocratique radical offensif après le 49.3 et face au cours autoritaire du régime. Toutes ces questions sont à considérer dans le cadre d’un processus plus général au sein duquel la classe ouvrière a été un protagoniste central, avec ses méthodes (grève, piquets de grève, etc.), et où des secteurs d’avant-garde ont pu accumuler une certaine expérience dans des luttes antérieures. Ces éléments sont autant de points d’appui face à ceux qui cherchent à vider les mouvements de leur contenu subversif, à les canaliser, ou encore à en tirer un profit parlementaire et institutionnel.

    La trajectoire du mouvement ouvrier en France au cours des sept dernières années a mis à l’ordre du jour la nécessité de construire un véritable parti révolutionnaire, tout en ouvrant la possibilité d’avancer de façon non linéaire mais par sauts dans cette voie. C’est cette situation qui a permis que Révolution Permanente émerge politiquement. Nous proposons d’avancer dans la construction d’une véritable organisation révolutionnaire, communiste et internationaliste, en tirant les leçons des luttes récentes et en préparant les prochaines batailles de classe à venir.

    Ce travail vise à prolonger le vaste processus de discussions et de réflexions qui existe chez toutes celles et ceux qui ont participé l’intense combat de la première moitié de l’année 2023, qui ont sacrifié leurs salaires, qui ont dû affronter la répression et qui ressentent l’amertume de la défaite alors que tous les ingrédients étaient là pour une victoire. Comme le souligne Mathieu Dejan, dans Mediapart, il existe une « recomposition permanente » du champ politique, à gauche, avec la NUPES, comme à l’extrême droite, ainsi qu’à l’extrême gauche, dans le cadre de la mobilisation que nous avons connue. Plusieurs positions se dessinent ainsi clairement. Depuis Révolution Permanente, nous sommes convaincus de la nécessité d’approfondir et de socialiser cette discussion, car c’est bien des conclusions que l’on saura en tirer que dépendra en partie l’avenir du mouvement ouvrier dans les années à venir.

    NOTES DE BAS DE PAGE


    [1] Karl Marx, « Lettre à Kugelmann », 17 avril 1871, in Karl Marx, Jenny Marx et Friedrich Engels, Lettres à Kugelmann, Paris, Éditions sociales, 1971, p. 190.


    [2] Bernard Sananès, propos rapporté par Ludovic Vigogne, in « Les actifs ont tourné le dos à Emmanuel Macron », L’Opinion, 5 mars 2023.


    [3] Propos rapportés in Thibault Métais, « Réforme des retraites : à la veille du vote, les manifestants oscillent entre colère et lassitude », Le Monde, 16 mars 2023.


    [4] Propos rapportés in Khedidja Zerouali, Jade Lindgaard et Mathilde Goanec, « Si c’est le 49-3, ce sera l’explosion sociale ! », récit d’une huitième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, Mediapart, 15 mars 2023.


    [5] Propos rapportés in Thibaud Métais et Bertrand Bissuel, « Réforme des retraites : les syndicats relancent la mobilisation alors que la colère augmente dans la rue », Le Monde, 20 mars 2023.


    [6] Propos rapportés dans le « Live » du Monde du 6 avril 2023.


    [7] Cf. supra, p. 119.


    [8] Robi Morder, « Les étudiants engagés contre la réforme des retraites : une mobilisation inédite ? », The Conversation, 5 avril 2023.


    [9Idem.


    [10] Léon Trotsky, Où va l’Angleterre ?, Paris, Librairie de l’Humanité, 1926.


    [11] Frédéric Lordon, « Vouloir perdre, vouloir gagner », Les blogs du diplo, 24 mai 2023.


    [12] Daniel Bensaïd, Alain Krivine, Mai si ! 1968-1988, rebelles et repentis, Paris, La Brèche, 1987, p. 22.


    [13Ibid., p. 25.


    [14] Cet article est rédigé dans un contexte d’unité par en haut qui avait vidé de tout contenu combatif le front unique des partis ouvriers et des organisations du monde du travail, la SFIO et le PCF étant unis depuis 1935 dans un front de conciliation de classe avec le parti radical bourgeois.


    [15] Léon Trotsky, « Front populaire et comités d’action » (novembre 1935) in Léon Trotsky, Le Mouvement communiste en France, Paris, Les éditions de Minuit, 1967, p. 535.


    [16] Pour approfondir sur le bilan de l’extrême gauche dans la dernière séquence de lutte des classes en France, on pourra se référer à Paul Morao, « Lutte ouvrière et le NPA dans le dernier cycle de lutte des classes », Révolution Permanente, 22 octobre 2022.


    [17] Cf. Martin Fort, « Retraites : ce réseau de militants qui conteste la stratégie de l’intersyndicale », Le Journal du dimanche, 18 mai 2023 et Khedidja Zerouali, « Retraites : la mobilisation est restée forte dans la rue mais faible dans la grève », Mediapart, 13 avril 2023.


    [18] Les masses laborieuses qui ont donné naissance au mouvement ouvrier au XIXe  siècle et l’ont conduit à son apogée politique et syndicale au XXe  siècle, ont pris de grands risques matériels, qu’il s’agisse des bas salaires, de la peur du chômage, de la faim, sans parler de la guerre elle-même. Après la Seconde Guerre mondiale, dans les années  1950 et 1960, les travailleurs du secteur privé ont organisé des millions de journées de grève. À l’époque, ils étaient payés à l’heure puisque les salaires mensuels n’ont été introduits qu’en 1969. Ces situations précaires n’ont pas empêché des grèves massives.


    [19] Frédéric Lordon, « Vouloir perdre, vouloir gagner », art. cité.


    [20] Léon Trotsky, Où va la France ?, Paris, Les bons caractères, 2007.


    [21] François Chérèque, prédécesseur de Laurent Berger à la CFDT, explique bien cette logique néfaste dans la bataille des retraites de 2010 : « On n’a pas besoin de radicaliser le mouvement, on va faire la démonstration aujourd’hui que les gens sont mobilisés. Et je crois que le gouvernement regarde très sérieusement le nombre de manifestants. […] Ceux qui veulent radicaliser le mouvement, appeler à la grève générale, souvent veulent rentrer dans une démarche politique, d’opposition globale avec le gouvernement. Or la force de ce mouvement, c’est qu’il n’est pas politique mais social. On a une force tranquille, utilisons cette force.  » (Propos rapportés in AFP, « Manifestations massives » (Chérèque), Le Figaro, 23 septembre 2010) Comme on peut le constater, la stratégie défaitiste de Berger ne date pas d’hier, pour la CFDT. Aujourd’hui en revanche, davantage encore face à la crise du régime, cette politique est encore plus criminelle.


    [22] Pour approfondir cette discussion, voir Emilio Albamonte et Matias Maiello, « Trotsky, Gramsci et l’émergence de la classe ouvrière comme sujet hégémonique », RP Dimanche, 20 mars 2021.