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    L’UE encourage l’exploitation du lithium en Serbie avec un grand cynisme

    Lien publiée le 26 décembre 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    » L’Union européenne encourage l’exploitation du lithium en Serbie avec un grand cynisme

    L’Union européenne aime se vanter de son programme vert. Mais ses projets reposent sur les véhicules électriques et sur une incitation à exploiter les mines de lithium en Serbie, ce qui reviendrait à externaliser les coûts environnementaux de la transition écologique vers un pays non membre de l’UE.

    Source : Jacobin, Nina Miholjcic Ivkovic
    Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

    Le chancelier allemand Olaf Scholz serre la main du président serbe Aleksandar Vučić après avoir signé un accord d’approvisionnement de l’UE lors du sommet serbe sur les matières premières critiques à Belgrade, en Serbie, le 19 juillet 2024. (Oliver Bunic / Bloomberg via Getty Images)

    « Nous devons garder le cap sur les objectifs fixés par le Green New Deal européen et nous le ferons. La crise climatique s’accélère à toute allure. Il est donc tout aussi urgent de décarboner et d’industrialiser notre économie en même temps. » Pour Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, l’agenda vert de l’UE est en bonne voie. Toutefois, ces mesures sont également controversées et l’on peut se demander si elles sont réellement bénéfiques pour l’environnement.

    Si la technologie verte promue par les autorités européennes prévoit davantage de véhicules électriques (VE), très demandés ces dernières années, le processus de production est loin de la rhétorique des industries propres et respectueuses de l’environnement. En particulier, la demande mondiale de batteries et de voitures électriques a accru les besoins en lithium, un métal essentiel utilisé dans les batteries pour alimenter les VE. La transition écologique de l’UE repose également sur ce métal.

    Le projet Jadar est un important projet d’exploitation minière de lithium et de bore situé en Serbie, un État non membre de l’UE. Il vise à extraire le lithium de la vallée de Jadar, qui contiendrait l’un des plus grands gisements de lithium d’Europe. Ce projet a obtenu un soutien politique considérable de la part du Royaume-Uni, de l’Australie, des États-Unis et de l’UE. Une analyse du soutien de l’UE à l’exploitation du lithium en Serbie révèle que le programme de transition verte de l’Union européenne est moins écologiste ou favorable aux populations locales qu’il n’y paraît.

    Les conflits ont également éclaté en Serbie elle-même. Au début de l’année 2022, le gouvernement a dû retirer à la société minière anglo-australienne Rio Tinto sa licence d’exploitation suite à d’importantes manifestations. Mais cet été, il est revenu sur sa décision, provoquant de nouvelles manifestations de masse. Des centaines de manifestants se sont rassemblés dans la ville de Loznica, dans l’ouest de la Serbie, brandissant des drapeaux nationaux et des banderoles portant des slogans tels que « Pas question de creuser » et « Ne touchez pas à Jadar. » À Belgrade, des milliers de personnes ont défilé dans le centre-ville en scandant « Rio Tinto, dégage de la Serbie » et « Pas question de creuser. »

    Questions environnementales

    Du point de vue des écologistes, la pression de l’UE en faveur de l’exploitation du lithium en Serbie – qui se traduit par des visites officielles et un soutien public à des initiatives privées – est perçue comme une tentative « d’écoblanchiment » de ses politiques énergétiques. Elle promeut les véhicules électriques tout en ignorant les coûts environnementaux et les impacts sociaux des pratiques minières sur lesquelles ceux-ci s’appuient. L’UE cherche également à se ménager un approvisionnement stable en lithium afin de réduire sa dépendance à l’égard des fournisseurs non européens, en particulier la Chine. Bien que le projet minier Jadar puisse satisfaire la quasi-totalité de la demande de lithium de l’UE, il a également suscité l’inquiétude des écologistes, qui estiment que de telles activités minières pourraient polluer les terres agricoles, les forêts et les sources d’eau avoisinantes.

    Beaucoup de gens vivant dans les zones les plus concernées estiment que l’exploitation minière prévue affecterait gravement leurs moyens de subsistance et provoquerait même leur déplacement. Cependant, en réponse à ces inquiétudes, la Commission européenne a tout simplement refusé de les prendre au sérieux, affirmant officiellement que les partenariats conclus entre l’UE et la Serbie pour l’exploitation des matières premières permettaient une « exploitation minière responsable sur le plan social et environnemental. » Il semble que les États membres donnent la priorité à l’extraction des ressources et à leurs propres intérêts « verts » plutôt qu’à l’environnement ou à ce que cela signifie pour les populations locales.

    De nombreux hauts fonctionnaires de l’UE ont fait l’éloge du projet en Serbie, mais sont restés relativement silencieux quant à l’extraction du lithium dans les États membres de l’UE qui disposent eux-mêmes de riches ressources dans ce métal. Ainsi, les plus grandes réserves européennes se trouvent en Allemagne et en République tchèque, qui en ont davantage que la Serbie. Le vice-président de la Commission européenne, Maroš Šefčovič, est admiratif du projet minier, laissant entendre que la Serbie pourrait devenir le premier pays européen doté de « l’ensemble de la filière », allant de l’extraction à la production de VE. Le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré qu’avec le projet Jadar, l’Europe assurera sa souveraineté et son indépendance en termes d’approvisionnement en matières premières dans un monde en mutation. La visite de la présidente de la Commission, von der Leyen, en Serbie à la fin du mois d’octobre, n’a fait que confirmer le soutien de l’UE au projet d’exploitation minière du lithium. Elle a fait l’éloge des mesures prises par le gouvernement « pour permettre à la Serbie de devenir un leader dans les secteurs des batteries et des véhicules électriques. »

    L’une des raisons pour lesquelles le projet minier pourrait être approuvé plus rapidement en Serbie que dans les pays membres de l’UE est que ces derniers ont des politiques vertes plus strictes qui nécessitent plus de temps et de contrôles juridiques pour l’approbation des projets miniers. La Serbie offre donc une sorte d’échappatoire, cyniquement utilisée par l’UE pour promouvoir des initiatives minières en dehors de son propre cadre juridique et bureaucratique.

    Approche politique

    Actuellement, l’UE dépend presque entièrement des importations, non seulement pour le lithium, mais aussi pour d’autres matières premières essentielles à sa transition écologique. En 2023, la Commission européenne a proposé la loi sur les matières premières critiques, fixant comme objectif que d’ici 2030, les mines et les centres de recyclage européens produisent respectivement 10 % et 25 % des matières premières nécessaires aux industries vertes de l’UE. L’UE cherche activement des moyens de devenir plus écologique et moins dépendante des importations de matières premières non européennes.

    Dans le cas du lithium, l’UE a besoin d’autres fournisseurs que la Chine, qui reste le plus grand exportateur de lithium vers l’Europe et le premier producteur mondial de VE. La production par la Chine de VE plus abordables constitue une menace pour l’économie allemande, qui dépend largement de l’industrie automobile. De plus, l’Allemagne prévoit de construire quinze millions de VE d’ici 2030, conformément aux engagements de l’UE en matière de changement climatique.

    Dans le cadre de son programme écologique, l’UE a besoin de toute urgence de fournisseurs de lithium européens. La Serbie, bien qu’étant un État non membre et un pays candidat engagé dans un long processus d’adhésion, paraît être une parfaite aubaine pour que l’UE puisse contourner ses politiques vertes strictes et réduire sa dépendance à l’égard des exportations de lithium de la Chine. Le gouvernement serbe, dirigé par le parti autocratique au pouvoir du président Aleksandar Vučić, a saisi cette opportunité pour obtenir des avantages économiques et politiques à court terme. Il considère le projet minier comme un levier politique dans ses relations avec l’UE.

    Source coloniale de ressources

    Même si, tant les fonctionnaires de l’UE que le gouvernement serbe soulignent les avantages économiques du projet Jadar, en particulier pour la Serbie, ce plaidoyer a un côté plus sombre.

    Alors que les autorités présentent le projet comme crucial pour le développement économique, la création d’emplois et la relance des entreprises locales, son véritable objectif est plutôt de maximiser les profits des investisseurs étrangers. L’exploitation du lithium en Serbie est principalement le fait d’entreprises étrangères, telles que Rio Tinto, et les bénéfices générés par le projet sont susceptibles de retourner dans le pays d’origine de l’entreprise, ce qui limite les avantages économiques à long terme pour la Serbie. On craint à juste titre que la Serbie ne devienne une « colonie pourvoyeuse de ressources », répondant à la demande de pays plus riches centrés sur les technologies vertes.

    En juillet, le gouvernement serbe a rétabli la licence de Rio Tinto pour l’extraction du précieux minerai dans la vallée de Jadar, peu après que la Cour constitutionnelle a statué qu’un gouvernement précédent avait agi de manière inappropriée en interrompant le projet suite aux manifestations. Le président Vučić continue de soutenir ouvertement le projet et l’entreprise, se servant des chaînes d’information contrôlées par le gouvernement pour diffuser ce message lors de nombreuses apparitions publiques.

    La mine en question est située dans une région essentiellement agricole et à proximité de cours d’eau abondants. Au-delà des craintes que les opérations minières ne polluent le sol et l’eau, les habitants sont menacés d’être chassés de leurs terres par une éventuelle saisie de l’État, agissant au nom d’intérêts corporatifs, si les propriétaires refusent de se séparer de leurs terres. Si la mine entre en activité, il est à craindre que le développement économique à long terme lié à la productivité agricole locale, tout particulièrement dans un environnement aussi sain et fertile, ne soit remplacé par des bénéfices temporaires au profit d’une minorité de Serbes.

    Il peut sembler exagéré de prédire un scénario à la « Mad Max » marqué par un effondrement sociétal extrême, des conflits liés aux ressources et l’anarchie. Mais certains éléments d’une telle situation pourraient devenir une réalité en Serbie, en fonction de la manière dont les principaux acteurs – gouvernements, entreprises et communautés locales – abordent les problèmes que l’exploitation minière pourrait engendrer.

    Si l’extraction du lithium provoque des perturbations importantes, des conflits concernant l’utilisation des terres et les droits sur l’eau pourraient facilement surgir. En outre, les dommages écologiques graves causés par l’exploitation minière pourraient entraîner une pénurie de ressources essentielles telles que l’eau potable et les terres fertiles, ce qui pourrait déclencher des migrations massives et des troubles sociaux. Étant donné les tendances autoritaires du gouvernement serbe, tout soulèvement résultant d’une pénurie de ressources pourrait faire l’objet d’une répression gouvernementale draconienne, perpétuant ainsi un cycle de violence et de désordre.

    Les responsables de l’UE ont fait montre d’un niveau d’hypocrisie saisissant en ce qui concerne l’exploitation du lithium en Serbie. L’UE a créé ce que l’on a appelé un paradoxe vert autour des véhicules électriques et de l’extraction du lithium dont dépend leur production. Si l’UE prétend être un phare de la démocratie et de l’équité, ce sont exactement les valeurs qu’elle piétine aujourd’hui en Serbie.

    *

    Nina Miholjcic Ivkovic est chercheuse. Spécialisée dans les relations internationales et la diplomatie, elle vit en Serbie.

    Source : Jacobin, Nina Miholjcic Ivkovic, 22-11-2024

    Traduit par les lecteurs du site Les-Crises