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    Le syndicalisme de Charles Piaget

    Lien publiée le 26 décembre 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.zones-subversives.com/2024/12/le-syndicalisme-de-charles-piaget.html

    Le syndicalisme de Charles Piaget

    Figure du syndicalisme de lutte des années 1968, le parcours de Charles Piaget est incarné par la grève emblématique de Lip en 1973. Des pratiques d'auto-organiation et d'action directe trancent avec le respect de la légalité bourgeoise. Mais Charles Piaget porte également un socialisme autogestionnaire avec un projet de société qui se construit dans le bouillonnement des luttes sociales. 

    Syndicaliste et militant, Charles Piaget remet en cause toutes les hiérarchies : entre exploiteurs et exploités, entre oppresseurs et opprimés, dans la vie quotidienne comme au travail. Il incarne également une filiation du mouvement ouvrier avec le syndicalisme d’action directe, le christianisme de gauche, le socialisme autogestionnaire, mais aussi l'anticolonialisme. Surtout, Charles Piaget incarne les luttes de l’usine Lip à Besançon, de Mai 68 à la grève de 1973. C’est une figure incontournable de la contestation des années 1968, avec ses débats et ses révoltes. Son parcours permet de nourrir les échanges entre les gauches syndicale et politique d’aujourd’hui pour porter une alternative anticapitaliste.

    La CFDT est devenue un syndicat cogestionnaire qui semble éloigné de toute forme de combativité. Pourtant, l’Union syndicale Solidaires s’inscrit dans la filiation de la CFDT des années 1968. Ce syndicat anime de nombreuses grèves avec des pratiques d’action directe et d’auto-organisation. La grève des Lip devient emblématique de cette période. Charles Piaget participe à ce bouillonnement social mais aussi aux nombreux débats qui traversent la CFDT et le PSU. Théo Roumier revient sur cette figure du syndicalisme de lutte dans le livre Charles Piaget. De Lip aux « milliers de collectifs ».

    Le militantisme de Charles Piaget commence en 1953 avec son engagement syndical à la CFTC. En 1953, l’entreprise annonce la réduction d’une prime pour les jeunes ouvriers. Une grève sauvage éclate. Charles Piaget représente ses camarades d’atelier et la prime est rétablie. Il est repéré par les syndicalistes de l’usine et devient délégué du personnel au nom de la CFTC. Il peut alors circuler dans l’entreprise et mesure la réalité de l’exploitation usinière. Les ouvrières subissent le travail répétitif et abrutissant de la chaîne mais aussi la surveillance des petits chefs.

    Charles Piaget rejoint également l’Action catholique ouvrière (ACO) qui s’oppose au colonialisme et à la guerre d’Algérie. Il lit l’hebdomadaire Témoignage chrétien qui subit la censure. Il s’engage également contre la guerre coloniale, distribue des tracts, colle des affiches, participe à des réunions publiques. D’humaniste, le combat devient politique avec la revendication de l’indépendance du peuple algérien.

    Charles Piaget rejoint l’UGS qui vient de se former en 1957. Cette organisation regroupe des chrétiens de gauche, des intellectuels comme les journalistes de France Observateur mais aussi des marxistes révolutionnaires comme Yvan Craipeau ou Pierre Naville. Cette petite organisation s’oppose aux compromissions de la SFIO mais aussi au stalinisme et au caporalisme du Parti communiste sur la classe ouvrière. Avec d’autres composantes, l’UGS participe à la création du Parti socialiste unifié (PSU) en 1960.

    Dans le Doubs, le PSU compte une centaine de militants. Le centre névralgique du nouveau parti ne se situe pas à Besançon mais à Montbéliard qui abrite les usines automobiles « Peugeot-Sochaux ». La lutte contre la guerre coloniale reste centrale avec la menace du putsch des généraux en 1961. Mais Charles Piaget poursuit également ses activités syndicales. Il participe à l’union locale mais tente également de créer un réseau militant dans l’usine. Leurs tracts s’appuient sur les problèmes racontés par les salariés. Ils sont d’autant mieux reçus et lus. La CFDT-Lip ne cherche pas à recruter et à évangéliser puisque ses militants ont déjà une autre religion. En revanche, le syndicat apparaît surtout comme un outil pour construire une force autonome des salariés.

                                      Charles Piaget, de Lip aux “milliers de collectifs”

    Grèves des années 1968

    En 1967 éclate la grève de l’usine textile Rhodiaceta à Besançon. Charles Piaget et les militants de Lip la suivent et la soutiennent activement. Le 13 mai 1968, Lip rejoint le mouvement de grève générale. La CFDT, contrairement à la CGT, soutient la révolte étudiante. Malgré l’opposition des bureaucrates de la CGT puis de la direction, les salariés occupent l’usine Lip pour organiser une assemblée générale avec 1200 personnes. La CFDT propose une grève avec occupation. Un comité de grève regroupe syndiqués et non syndiqués. Néanmoins, la CFDT ne parvient pas à faire approuver l’ouverture de l’usine aux personnes extérieures, notamment les étudiants. Avec l’UL CFDT, Charles Piaget participe à la mobilisation d’entreprises plus petites et sans présence syndicale.

    La CFDT sort renforcée du mouvement et accompagne les nombreuses luttes des années qui suivent. Une nouvelle grève éclate à Lip en 1971 contre l’annonce de 50 licenciements. Cette lutte aboutit au départ du patron Fred Lip, débarqué par les actionnaires. Charles Piaget soutient également la grève de salariées du préventorium de Bréville, une maison pour enfants tuberculeux. Elles lancent une grève illimitée et popularisent leur combat auprès de la population. L’Union locale CFDT soutient activement cette grève.

    Un comité de soutien plus large est créé avec le PSU, la Ligue communiste, des maoïstes de Secours rouge ou encore la Jeunesse étudiante chrétienne. En revanche, la CGT et le PCF refusent de s’y associer. Ce qui n’empêche pas une manifestation de 1500 personnes qui traversent Besançon. Des pratiques d’auto-organisation se développent. Des assemblées ouvertes permettent à chacun d’exprimer son opinion. Des comités de grévistes décident des perspectives du mouvement. Entre 1970 et 1973, la CFDT se développe fortement, portée par les luttes sociales et un projet de socialisme autogestionnaire.

    En 1973, l’usine horlogère Lip de Palente emploie 1200 personnes. Les femmes sont majoritaires dans les postes d’OS avec les salaires les plus bas et les conditions de travail les plus aliénantes. Un comité d’action se forme au cœur de la lutte, en dehors de la CGT et de la CFDT. Cette structure horizontale et souple regroupe syndiqués et non syndiqués. La section CFDT, qui valorise les pratiques d’auto-organisation, soutient ce comité d’action et insiste pour lui donner un rôle central dans la mobilisation.

    Face à la menace d’un démantèlement de l’entreprise, les salariés décident de ralentir la cadence puis occupent l’usine. Après une réunion du comité d’entreprise, les Lip décident de séquestrer les administrateurs provisoires. Une ouvrière fouille et découvre un plan de licenciement brutal et massif. Les CRS interviennent dans la nuit pour libérer les administrateurs. Les Lip décident alors de récupérer le stock de montres. Le 15 juin une manifestation de 15 000 personnes traverse Besançon.

         Le syndicaliste Charles Piaget (au centre), qui fut au cœur de la mobilisation, et les employés en grève, dans l’usine Lip, à Besançon, en  1973.

    Lutte emblématique

    L’assemblée générale du 18 juin prend une décision historique. Les Lip relancent la production de montres pour financer la grève et tenir sur la durée. « On fabrique, on vend, on se paie », proclame une banderole. Le bulletin Lip unité est diffusé à travers la France par des « comités Lip ». La conduite de l’action repose sur l’assemblée générale, quotidienne et décisionnaire. Les CRS interviennent le 14 août et des affrontements éclatent devant l’usine.

    Les Lip passent par le Larzac et une manifestation de 100 000 personnes déferle sur Besançon le 29 septembre. La CGT dénonce la présence de gauchistes comme les militants de la LCR présents à la manifestation. Surtout, la CGT accepte de négocier pour arrêter le mouvement. Le syndicat s’oppose à la CFDT et au comité d’action. La lutte se divise mais perdure. Le 29 janvier 1974, l’AG accepte le plan d’un nouveau négociateur gouvernemental.

    Dans les médias, Charles Piaget apparaît comme la figure emblématique de la lutte des Lip. Il s’impose en raison de ses capacités de synthèse et de prise de parole. Mais le délégué CFDT s’attache à porter un mandat collectif. Ce qui permet d’éviter le copinage avec la direction pour incarner une force collective. « Si les délégués sont parfois dépassés, tant mieux », déclare Charles Piaget. Il s’attache à renouveler les pratiques syndicales à travers le comité d’action et des formes d’auto-organisation. Au contraire, les sections syndicales s’enferment souvent dans le repli sur soi et la routine. En revanche, Charles Piaget s’attache à ne pas freiner les initiatives nouvelles extérieures aux syndicats. Ce qui permet d’impulser une dynamique de lutte depuis la base plutôt que de chercher à contrôler le mouvement.

    Surtout, la lutte des Lip ouvre des perspectives de transformation sociale. Le syndicalisme ne doit pas se cantonner à des pratiques légalistes. « En mettant en cause la légalité capitaliste, en mettant en place, de fait, une légalité et un pouvoir ouvrier, les travailleurs de Lip ont ouvert une brèche et indiqué la direction stratégique », souligne le militant CFDT Frédo Krumnow. Lip apparaît même comme une alternative au programme commun et à la perspective électoraliste d’un gouvernement de gauche. En 1973, l’expérience de l’Unité Populaire au Chili s’effondre avec le coup d'État de Pinochet. Ce qui semble renforcer la primauté des luttes à la base plutôt que la transformation sociale depuis le sommet de l’État.

      

    Militant politique

    Des groupuscules d’extrême gauche proposent Charles Piaget comme « candidat des luttes » aux élections présidentielles de 1974. Cependant, la CFDT dirigée par Edmond Maire penche pour un candidat d’union de la gauche. Surtout, le PSU privilégie la candidature de Michel Rocard. Charles Piaget s’appuie sur l’aile gauche du PSU, plusieurs équipes de la CFDT, des groupuscules gauchistes et la presse militante comme les journaux Politique Hebdo et Libération. En revanche, Daniel Guérin, militant de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA), considère que la figure emblématique des Lip ne doit pas s'abimer dans l’électoralisme bourgeois. Charles Piaget reste plus influent à travers les luttes sociales plutôt que sur le terrain institutionnel.

    Charles Piaget et la lutte des Lip incarnent le courant du socialisme autogestionnaire dans l’après Mai 68. Ce projet de société apparaît comme une alternative à la social-démocratie comme au « communisme de caserne ». Le PSU de Besançon peut s’appuyer sur une véritable implantation ouvrière et comprend de nombreux syndicalistes. Le PSU de Besançon veut s’appuyer sur l’unité dans l’action des travailleurs et des couches populaires pour détruire le capitalisme. Il critique la stratégie réformiste du Programme commun et les limites du respect de la légalité bourgeoise qui éclatent au Chili.

    Cette stratégie révolutionnaire repose sur la CFDT qui reste l’organisation la plus active dans les luttes sociales. Cependant, Edmond Maire et la direction de la CFDT se tournent davantage vers le Parti socialiste de François Mitterrand. La direction syndicale se veut un contrepoids face à l’importance de la CGT et du PCF dans l’union de la gauche. En 1974, avec les Assises du socialisme, Michel Rocard avec une partie du PSU mais aussi des dirigeants de la CFDT rallient le Parti socialiste. Cependant, l’aile gauche devient majoritaire au sein du PSU.

    Dans ce contexte, Charles Piaget esquisse des perspectives nouvelles. Il insiste sur l’importance d’une stratégie révolutionnaire. L’action autonome des travailleurs doit se situer au cœur de cette stratégie. Charles Piaget insiste sur l’action dans les entreprises mais aussi sur la critique du travail aliéné. Il dénonce l’oppression de la hiérarchie et propose la création d’une société nouvelle. Ensuite, Charles Piaget insiste sur le parti du PSU comme un outil d’expérimentation autogestionnaire. Mais il refuse la séparation entre le social et le politique incarnée par le PCF et ses pratiques autoritaires. Le parti doit au contraire reposer sur le débat et la critique.

    Socialisme autogestionnaire

    Le livre de Théo Roumier rend un bel hommage à la figure de Charles Piaget. Il montre comment ce père de famille catholique se tourne vers le socialisme autogestionnaire. C’est avant tout l’expérience à l’usine et les pratiques de lutte qui forgent sa réflexion politique. Théo Roumier s’empare de ce syndicaliste de base pour évoquer le contexte de l’insubordination ouvrière des années 1968 mais aussi les débats stratégiques qui traversent les syndicats et les partis de gauche.

    Théo Roumier insiste sur l’importance des nouvelles pratiques de lutte qui secouent le monde ouvrier après Mai 68. L’action directe et l’auto-organisation se diffusent largement dans ce contexte bouillonant. Le syndicalisme de la CFDT semble moteur et tranche avec les méthodes de la CGT. Le syndicat ne doit pas contrôler la lutte pour freiner les initiatives et éviter les débordements. Au contraire, les syndicalistes de la CFDT encouragent les assemblées ouvertes pour permettre aux ouvriers et ouvrières non politisées de participer au mouvement. La CFDT favorise également la spontanéité et l’action directe. Le syndicat préfère respecter les décisions des grévistes plutôt que la légalité bourgeoise.

    Théo Roumier insiste également sur l’importance du collectif et de la démocratie ouvrière. Charles Piaget ne devient pas un bureaucrate syndical qui multiplie les réunions avec le patronat. Au contraire, il privilégie les tournées dans les usines pour recueillir les problèmes des ouvrières et des ouvriers. Il développe un syndicalisme de base attaché à une implantation dans l’usine Lip et dans le bassin d’emploi de Besançon. Mais ce syndicalisme de base ne débouche pas vers un repli localiste. Au contraire, il permet d’accompagner des grèves qui nourrissent une réflexion sur la stratégie vers le socialisme autogestionnaire.

    C’est peut-être le point faible des recherches de Théo Roumier qui tente de repeindre Charles Piaget en théoricien révolutionnaire. Si les limites du socialisme autogestionnaire doivent être soulignées, il faut d’abord saluer la démarche intellectuelle de Charles Piaget. Alors que les idéologues actuels recrachent des livres universitaires abstraits, le syndicaliste s’appuie avant tout sur l’expérience concrète et la pratique de lutte pour élaborer sa réflexion politique. Charles Piaget incarne également le précieux de l'aile auche de la CFDT dans un contexte français qui grouille de sectes gauchistes plus ou moins délirantes. Ce courant permet le développement des Cahiers de Mai qui s’appuient sur des enquêtes ouvrières pour impulser des luttes sociales avec le soutien des syndicalistes de la CFDT.

    Néanmoins, dans le bouillonnement théorique des années 1968, ce socialisme autogestionnaire ne semble pas abouti. L’autogestion d’usine s’apparente à une autogestion du capital. L’autogestion généralisée à l’ensemble de la société, que porte Charles Piaget, peut s’apparenter à une multiplication d’usines en gestion ouvrière qui ne remet pas en cause les fondements du capital ni de l’État. En revanche, des luttes anti-travail secouent plus profondément l’ordre usinier. La finalité de la production et l’aliénation du travail sont également remises en cause. Ces grèves ouvrent de nouvelles questions pour s’interroger sur quoi et comment produire afin de sortir de la logique marchande pour réorganiser la société depuis la base.

     

    Source : Théo Roumier, Charles Piaget. De Lip aux « milliers de collectifs », Libertalia, 2024

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    Le PSU, un parti dans les années 1968

    Révoltes et théories des années 1968

    Pour aller plus loin :

    Vidéo : Théo Roumier présente Charles Piaget, de Lip aux “milliers de collectifs” à la librairie Libertalia, diffusée sur le site des Éditions Libertalia le 4 octobre 2024

    Vidéo : Autogestion et révolution : l'exemple de Charles Piaget (entretien avec Théo Roumier), diffusée par le NPA - L'Anticapitaliste le 16 décembre 2022

    Vidéo : Les Lip, l'imagination au pouvoir, diffusée par la CGT BAI Villefranche le 13 février 2016

    Vidéo : Mai 68 n'a pas duré qu'un mois - Charles Piaget, diffusée par Mediapart le 17 juin 2018

    Vidéo : Denis Robert, Charles Piaget : le doux rêve de l'autogestion politique, diffusée sur Blast le 7 novembre 2023

    Vidéo : Treize années de lutte chacun : Charles Piaget, Philippe Poutou échangent sur leurs expériences, diffusée par le NPA - L'Anticapitaliste le 30 mars 2022

    Vidéo : Edwy Plenel rend hommage à Charles Piaget, diffusé sur Média 25 le 13 novembre 2023

    Vidéo : Modiie et OstPolitik, LIP : La grève qui a fait trembler le patronat français, diffusée sur Blast le 1er mai 2024

    Radio : émission avec Charles Piaget diffusée sur Radio France

    Georges Ubbiali, PIAGET Charles, Albert, publié sur le site du Maitron le 6 septembre 2014

    La lutte des Lip : rencontre avec Charles Piaget, publié sur le site de la revue Ballast le 07 septembre 2020

    Charles Piaget, Mai 68 chez Lip à Besançon, publié sur le site de la revue Les Utopiques

    Théo Roumier, Simone Weil, Charles Piaget : concordances anti-autoritaires, publié dans Le Club de Mediapart le 24 septembre 2024

    Entretien avec Théo Roumier dans Mediapart, publié sur le site des éditions Libertalia le 5 novembre 2024

    Théo Roumier et Charles Piaget, Lip, Charles Piaget et le « socialisme de tous les jours », publié sur le site de la revue Contretemps le 11 juillet 2023

    Julien Salingue, « L’actualité de Piaget est avant toute chose dans sa démarche militante », publié dans Hebdo L’Anticapitaliste n°633 le 18 octobre 2022

    Articles de Théo Roumier publiés sur le site de la revue Les Utopiques